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Page:Anjou - Le Prince Fédor, 1907.djvu/14

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La petite eut une moue et reprit :

— Il faut un cadeau pour Yolande. Que donnerai-je ?

— Un bijou.

— Lequel ?

— Tu as ici un choix merveilleux. Prends parmi les pierreries envoyées par Michel quelques diamants et rubis, je les ferai monter à Kronitz, en pendentif, par exemple : c’est le joyau à la mode.

— Tu as une excellente idée, grand frère. Le chiffre de Yolande représenterait un joli motif.

— Je te ferai soumettre des dessins… Nous abordons, maintenant. Regarde comme l’île est verdoyante et gracieuse ! On la dirait douée d’un éternel printemps.

Yousouf fit siffler la sirène d’une manière spéciale. La chaloupe louvoyait entre la flotte ancrée dans le port.

C’était une petite forêt de mâts et de cheminées. Il y avait des navires de commerce destinés au transport des matières premières de l’usine et des produits manufacturés. Ceux-là étaient uniformément peints en blanc, longs, plats, de divers tonnages.

À côté, six yachts de plaisance, élégants, resplendissants sous leur astiquage impeccable, quelques-uns couverts de haches protectrices, d’autres sous pression, prêt au départ.

Une flottille de canots s’amarrait aux anneaux de la jetée contre, laquelle vint se ranger l’Excelsior. Le pavillon de marée blanc, avec la croix de Saint-André noire, avait sa flamme en dessous du sémaphore, pour indiquer la marée descendante.

— Monte, matelot, ordonna Fédor. Tu vas nous remorquer jusqu’à la cale.

Le matelot se prit aux étroites cannelures découpées dans le rocher de la jetée et grimpa avec une adresse de mousse. Yousouf lui jeta l’amarre, arrêta sa machine, et le canot marcha contre la marée.

Debout sur le quai, un homme grand, superbement découplé, vêtu comme un marin, le béret sur les yeux, les regardait s’avancer avec un sourire.

Il enleva Mariska et l’embrassa sur tes deux joues.

— Bonjour, mon hirondelle de mer !

— Bonjour, frère Boris ! Il y a plus d’un mois que tu n’es venu nous voir à l’Île Rose.

— Ah ! j’ai travaillé. Fédor, je te réserve de splendides surprises.

Les deux frères se serraient la main. Leurs yeux pareils se riaient.

— Belle idée de m’amener ce matin la plus jolie fleur des eaux ! Tu as sur le visage les couleurs de ton île, Mariska. J’ai pour toi aussi des trésors, mignonne, si tu aimes les perles et les joyaux.

— Justement, j’en ai besoin.

— Nos plongeurs ont rapporté des écailles de tortues extraordinaires et des huîtres où d’énormes perles d’un incomparable orient ont germé. Tout cela est encore brut, mais on peut juger du résultat qu’obtiendront les lapidaires.

— Alors, ce sera pour moi ?

— Bien entendu. Quel plaisir aurais-je à pêcher les coraux et des perles si ce n’était pour ma charmante petite sœur ?

Mariska se haussa tant qu’elle put et posa ses lèvres sur la joue de son frère. Il passa une main caressante sur les cheveux de la jeune fille.

— Tu es notre joie, vois-tu, petite fée, notre pensée la meilleure… Sans toi, il n’y aurait dans notre vie ni douceur ni consolation ; ce sont tes yeux qui éclairent la nuit où s’agitent nos âmes.

Ils entraient dans le château de granit.

De massives tours rondes n’offrant aucune prise aux tempêtes encadraient l’entrée voûtée. Des murs épais de deux mètres et demi formaient une enceinte au milieu de laquelle se trouvait une cour aux allées sablées et aux pelouses de sédum, ponctuées de massifs de fleurs éclatantes.

Les autans ne pouvaient les atteindre, ainsi protégés, et nul ouragan n’était de force à entamer les défenses de granit.

Sur la cour donnait une galerie circulaire soutenue par des piliers, ainsi qu’un cloître. Au-dessus de cette galerie, se trouvaient les appartements du cadet des Romalewsky.

Plus loin, séparé de l’habitation, s’élevait le singulier bâtiment en forme d’étoile à cinq pointes qui servait de laboratoire. À la pointe nord, une tour surmontée du phare et du sémaphore, indiquait le sommet du triangle des trois îles.

L’Île verte était la plus mal exposée. Elle essuyait aux équinoxes des tempêtes effroyables. Aussi était-elle hérissée de contreforts.

Boris s’y plaisait précisément à cause de cela. Au plus fort des ouragans, il travaillait à ses expériences, profitant même des conditions atmosphériques pour ses mystérieux essais.

À deux ou trois reprises, des portions du laboratoire avaient sauté sous l’effort des explosifs étudiés ou maniés par Boris. Le maître s’en était tiré à peu près indemne, sans éprouver d’ailleurs l’ombre d’une hésitation pour recommencer d’aussi redoutables expériences.

La pointe nord, faisant face à l’Île Rose, la mieux orientée de l’archipel, offrait une plateforme plantée de signaux permettant les communications avec les îles et avec le continent au moyen d’un câble sous-marin.

À la pointe ouest s’attachait la double chaîne sans fin destinée à assurer le service avec l’Île Blanche. Le long de cette chaîne immergée couraient deux bacs se croisant : Coque-de-Noix et Noix-de-Coco.

La pointe est présentait un phare tournant.

Dans la cour intérieure, sous un ombrage de clématites et de jasmins, était dressée une table couverte d’argenterie et de cristaux. Debout, derrière les trois sièges destinés aux convives, se tenaient trois maîtres d’hôtel en livrée verte.

La famille prit place. Visiblement heureux d’être ensemble, les deux frères reposaient leurs yeux sur le charmant visage de Mariska, dont le sourire, ainsi qu’ils le disaient, étaient la clarté unique de leurs jours chargés des plus sombres préoccupations.


X

LE LABORATOIRE

Après le repas intime, prolongé de causerie, Boris dit :

— Viens, Fédor, je veux te montrer mes travaux. Petite sœur, cela ne t’intéresserait pas. Veux-tu monter dans ton petit salon particulier ?

— Volontiers.

— J’y ai rassemblé des pierres précieuses, des branches de corail et quelques singulières végétations marines dont la vue t’amusera… Voici la clef de la vitrine où sont ces objets.

Mariska saisit avec une joie d’enfant la clef brillante, monta lestement et pénétra dans la pièce claire disposée par Boris pour les jours de visites fraternelles.

Sur les murs tendus de peluche vert d’eau se détachaient des tableaux composés d’algues curieusement enlacées.

Des coquilles bizarrement contournées ornaient une étagère ; un tapis couleur de mousse reproduisait en nuance plus foncée, brodé à même le tissu, le nom de Mariska.

Une jardinière emplie de gerbes odorantes, un petit bureau de bois rare, des statuettes taillées dans l’ivoire, des peaux de tigres envoyées par Michel, des sièges couleur Nil ornaient uniquement ce boudoir créé pour une petite reine tendrement aimée.

Mariska commença par respirer les fleurs, par regarder la mer étalée et comme constellée par les flèches solaires, puis seulement elle ouvrit le placard aux chatoyantes trouvailles.

Elle prit entre ses mains les pierres et les perles, les écailles blondes et les coraux. Elle se divertit à faire jouer dans un rayon leur incandescence, ensuite, hypnotisée en quelque sorte par ces gemmes aux vertus mystiques, elle resta à rêver, alanguie, sur le divan, baignée du fluide troublant qui est l’âme des pierres précieuses.

Pendant ce temps, Fédor et Boris marchaient vers le laboratoire hanté de mystère et de magie.

Un chimiste distillait des herbes dans la première partie du bâtiment, composé de cinq pièces triangulaires formées par les pointes du pentagramme. Des effluves odorants s’échappaient de l’alambic.

L’homme salua sans parler.

Les frères prirent la porte à droite, conduisant dans la seconde pièce, où un autre chimiste entretenait un creuset d’où jaillissait un sourd crépitement.

— Vois, Fédor, dit Boris en prenant un flacon à demi rempli de sels brunâtres. Voici des sels de varium. Quelques grains jetés dans une fontaine ou dans une piscine lui communiquent les vertus de Jouvence. Un corps, si fané et ridé soit-il, plongé dans cette eau, recouvre la fraîcheur, la fermeté, la souplesse des premières années.

— Et l’effet est durable ?

— Non, malheureusement. Je ne suis pas parvenu encore à en fixer la durée d’une manière constante. Il faut que je trouve le complément de ce corps primitif.

— L’as-tu expérimenté ?

— Oui, je vais te mettre en présence de mon sujet. Tu te convaincras par tes yeux.

— Où est-il, ce sujet ?

— Viens.

— Ils entrèrent dans le troisième compartiment, meublé sommairement de tables de pierre et de sièges de bois. Un homme était occupé à tracer sur une pierre lithographique des étoiles noires et des gravures pour l’impression des journaux illustrés sortant des imprimeries de l’Île Blanche.

Il se leva à la vue des maîtres, sourit et s’avança, joyeux, vers Fédor :

— Salut, monseigneur !

— Salut, mon ami… Montre-toi donc devant le grand jour, que je te reconnaisse mieux.

— Ah ! monseigneur, ce n’est pas bien… Vous avez oublié votre vieux serviteur, celui qui vous a appris à tenir votre premier crayon.

— Pierre Steffan ! dit Fédor avec un accent de surprise.

Et se retournant vers Boris :

— Je comprends ce que tu disais tout l’heure. Voilà ton sujet d’expérience. Je t’aurais reconnu, Pierre, mais il m’aurait fallu remonter vers ma jeunesse pour te retrouver tel que je te vois aujourd’hui.

— N’est-ce pas, monseigneur ?… J’ai quarante ans d’aspect… et soixante-quinze de réalité.

— Et tu dessines encore ?

— Je ne le pouvais plus ; mais, grâce aux injections sous-cutanées que me fait aux sourcils Mgr Boris, je puis me passer de lunettes.

— Souffres-tu ?

— Non, monseigneur. Je suis faible seulement, et, si je ne m’astreins pas tous les matins à l’immersion froide dans l’eau additionnée de sel de varium, je reprends mes soixante-quinze ans. Il semble qu’en sortant de l’eau j’y laisse le poids de trente années.

— C’est très curieux ! Quelle est ton opinion sur cas étrange, Boris ?