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Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/979

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LA THÉOSOPHIE BRAHMANIQUE

tout temps le souffle a été regardé par les Hindous comme le support matériel du moi. C’est par le prāṇa que se manifeste la vie individuelle : « l’âme individuelle, appelée prāṇa, est née du non-prāṇa »[1]. C’est le prāṇa qui lie l’âme au corps (Chānd. Up. 6, 8, 2) ; et lorsque les organes luttent les uns contre les autres pour la primauté, c’est la respiration qui se trouve être l’organe essentiel, condition de tous les autres (Chānd. Up. 5, 1). Puisque c’est par le prāṇa que la vie est entrée dans l’univers, il est naturel que l’Atharva-veda lui assigne une puissance cosmique : le prāṇa est le principe de toute vie dans la nature et dans l’homme ; il est le premier-né de la création (XI, 4)[2]. Rappelons enfin que dans le mythe cosmogonique raconté par la Maitrâyaṇiya-Upaniṣad, c’est sous forme de vent ou de souffle que Prajâpati pénétra dans la matière pour lui insuffler la vie et créer la multiplicité des êtres ; et que, dans une autre légende plus significative encore, lorsque Varuna voulut instruire son fils dans les mystères de l’autre monde, il le dépouilla de sa personnalité terrestre en lui enlevant la respiration (Jaimin. Br. I, 12).

Ces idées, dont il n’est pas difficile de reconnaître l’origine animiste, ont étroitement lié l’un à l’autre le souffle et l’individualité. Accélérer, ralentir la respiration, c’est accroître ou diminuer la vie individuelle ; la supprimer, est faire tomber les barrières qui emprisonnent notre existence dans les limites du temps et de l’espace, c’est permettre à l’âme de s’élargir infiniment et l’identifier avec l’univers. Et comme l’individualité et la pensée ne font qu’un, il y a lien étroit entre le souffle et la pensée. Que l’on règle le premier, et la pensée prend un cours continu ; elle cesse de vagabonder à droite et à gauche ; elle se concentre sur un seul objet : « Quand la respiration est instable,

  1. Maitr. Up. 6, 19 ; le non-prāṇa c’est l’Être infini, non individualisé.
  2. Le Śatapatha Brāhmaṇa fait aussi naître les « sept prāṇa » directement de l’a^at[illisible], du non-être primordial (VI, 1, 1) ; leur création est antérieure à celle de puruṣa-Prajāpati (XI, 1, 6, 17).