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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/235

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LE POÈTE ASSASSINÉ

vilégiée, croîtra dans de telles proportions et si rapidement qu’avant peu de temps personne ne voudra plus travailler, inventer, apprendre, raisonner, faire des choses dangereuses, remédier aux malheurs des hommes et améliorer leur sort.

« Sans tarder, donc, il faut aviser et nous guérir de cette plaie poétique qui ronge l’humanité. »

Un bruit énorme accueillit cet article. Il fut télégraphié ou téléphoné partout, tous les journaux le reproduisirent. Quelques journaux littéraires firent suivre la citation de l’article de Tograth de réflexions moqueuses à l’égard du savant, on avait des doutes sur l’état de sa mentalité. On riait de cette terreur qu’il manifestait à l’égard du laurier lyrique. Les journaux d’informations et d’affaires, au contraire, faisaient grand cas de l’avertissement. On y disait que l’article de La Voix était génial.

L’article du savant Horace Tograth avait été un prétexte unique, admirable pour affirmer la haine de la poésie. Et le prétexte était poétique. L’article du savant d’Adélaïde faisait appel au merveilleux de l’antiquité dont le souvenir gît dans tout homme bien né et à l’instinct de conservation que connaissent tous les êtres. C’est pourquoi presque tous les lecteurs de Tograth furent émerveillés, effrayés et ne voulurent pas manquer l’occasion de faire du