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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/265

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LE ROI-LUNE

à cuire un rôti, fut auprès de la table, tout s’alluma et il y eut bientôt, sous le bœuf que l’on retournait vivant, un brasier instantané et aromatique. À ce moment quatre écuyers tranchants s’avancèrent de cet air satisfait et fatigué de mon ami René Berthier lorsque avant de quitter le domaine de la science pour celui de la poésie ou inversement, au moyen d’une lime à ongles il tente l’ouverture de sa boîte d’ananas quotidienne. Les convives, qui devisaient fort agréablement, s’interrompirent aussitôt pour choisir le morceau de leur goût, comme font les journalistes d’affaires après une nouvelle conquête coloniale. Le bœuf vivant était découpé à l’endroit désigné, et telle était l’habileté du boucher que le morceau était détaché et rôti sans qu’aucun des organes essentiels ne fût touché. Bientôt il ne resta que la peau et le squelette que l’on emporta comme un contribuable dévoré par les collecteurs d’impôts.

Alors, entrèrent vingt oiseleurs, l’appeau en bouche et qui portaient chacun deux grandes cages pleines de canards plumés vivants que l’on étouffa devant chaque convive. Les sommeliers, qui se présentèrent spontanément, versèrent des rasades de vin de Hongrie et vingt trompettes, qui entrèrent par quatre portes à la fois, se mirent à sonner dans leurs instruments pavoisés.