Aller au contenu

Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
LE ROI-LUNE

« C’est la voix d’Ispahan qui arrive jusqu’à moi, issue d’une nuit noire comme le sang des pavots. »

Et tandis qu’il y songe, c’est l’odeur des jasmins que j’imagine.

Minuit ! un pauvre pâtre crie dans un désert glacé : c’est l’Asie nocturne d’où le mal s’étend sur le monde.

Des éléphants barrissent. Une heure du matin ! C’est l’Inde !

Puis le Thibet. On entend sonner les cloches sacerdotales.

Trois heures : le bruit des milliers de barques s’entrechoquant avec douceur sur les bords du fleuve à Saïgon.

Doum, doum, boum, doum, doum, boum, doum, doum, boum, c’est Pékin, les gongs et les tambours des rondes, les chiens innombrables qui glapissent ou aboient mêlant leurs voix au lugubre bruit des rondes. Un chant de coq éclate, annonçant l’aube qui, livide, abandonne déjà la blanche Corée.

Les doigts du roi coururent sur les touches, au hasard, faisant s’élever, simultanément en quelque sorte, toutes les rumeurs de ce monde dont nous venions, immobiles, de faire le tour auriculaire.