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LA FAVORITE

Par la porte ouverte d’une maison pleine d’hommes venait une voix monotone qui appelait les numéros sortis au lotto. Accroupie sur le seuil, une fille de treize ou quatorze ans, en haillons, les cheveux courts rongés par la pelade, répétait sans cesse, en les chantonnant, ces mots d’affamé : La polenta molla, la polenta molla… » Les porteurs frappèrent à la porte et à l’unique fenêtre de la bicoque en appelant :

« Cichina. Eh ! la Cichina ! »

Aussitôt, un ouvrier débraillé bouscula la fille qui chantait et sortit de la maison que les numéros du lotto traversaient au hasard :

« Qu’y a-t-il ? »

Les porteurs répondirent en s’épongeant le front :

« Le roc qu’il minait s’est détaché ; il est tombé de cent mètres sur la route en se déchirant aux cactus. »

La porte de la bicoque s’ouvrit et la Cichina, c’est-à-dire Françoise, parut, propre, avec un tablier rose, empesé et festonné.