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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/324

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LE DÉPART DE L’OMBRE

cadavre d’une jeune fille lorsqu’on passe devant une maison mortuaire à la porte ornée de tentures blanches.

« On me l’a dit depuis. Près d’un mois avant le trépas de Louise, je disais qu’elle allait mourir, qu’elle n’en avait plus que pour trois semaines, pour quinze jours, qu’elle périrait le mercredi prochain, qu’elle mourrait le lendemain. On avait pris cela pour des plaisanteries, car Louise était bien portante, pleine de jeunesse et de gaieté.

« Mais le boucher peut dire le jour où telle génisse sera abattue. Ma haine était savante, je connaissais bien le jour de la mort de Louise et elle mourut à la date que j’avais indiquée.

« Elle mourut brusquement et sa mort ne fut point une énigme pour les médecins. Mais je ne pus empêcher que mes amis me soupçonnassent d’un crime. Leurs questions m’enlaçaient comme des serpents sibilants que je ne savais pas charmer.

« Tourments de jadis, je vous ressens encore…

« Un mois avant la mort de Louise, nous étions sortis ensemble ; c’était un samedi. Silencieux,