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LE DÉPART DE L’OMBRE

« Hors de la boutique, nous vîmes avec bonheur que nous possédions encore notre ombre. Bakar nous plaça de façon à ce que les ombres se mêlassent à la sienne, puis il examina cette tache trembleuse. Il disait :

« — Oï, le signe du feu ! Oï, le feu, asch ! Oï, Adonaï ! Asch qui est le feu en hébreu donne Aschen en allemand. Ce sont les cendres, les cendres des morts. Oï, et haschisch est de là vraisemblablement. Ce sera le bon sommeil. Oï ! le signe du feu. Asch, Aschen, haschich et assassin que j’oubliais vient de là aussi. Oï, oï ! Asch, aschen, haschich, assassin, oï, Adonaï, Adonaï ! »

« Et comme il était sorti sans chapeau et peut-être en confirmation d’un présage mortel figuré par asch, le signe du feu, Bakar éternua bruyamment :

« — Atchi ! Atchi ! »

« Fort ému, je lui dis :

« — Dieu vous bénisse !

« Mais Bakar rentra dans sa boutique en disant :

« — J’ai encore longtemps à vivre. »