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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/345

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L’ŒIL BLEU

avaient des frères en parlaient comme d’êtres surnaturels.

« Un soir, à la tombée de la nuit, nous revenions de la chapelle et nous marchions à la queue leu leu, nous dirigeant vers le dortoir.

« Soudain, au loin, derrière les murs qui entouraient les jardins du couvent, un son de cor se fit entendre. Je m’en souviens comme si cela s’était passé hier : la fanfare héroïque et mélancolique éclata dans le profond silence, au crépuscule, tandis que le cœur de chaque petite fille battait plus fort qu’auparavant. Et cette fanfare qui, répercutée par les échos, mourait dans le lointain, évoquait pour nous je ne sais quel cortège fabuleux…

« C’est d’eux que nous rêvâmes cette nuit-là…

« Le lendemain, une petite blonde, qui s’appelait Clémence de Pambré, étant sortie un instant de la classe, revint toute pâle et chuchota à sa voisine, Louise de Pressec, que dans le couloir sombre elle avait rencontré un œil bleu. Et bientôt toute la classe connut l’existence de l’œil bleu.

« On n’écoutait plus la Mère qui nous enseignait l’histoire. Les élèves faisaient à présent des réponses saugrenues, et moi-même, qui n’étais pas