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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/398

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LA CHASSE À L’AIGLE

Et, à cet instant, j’eus une vision précise et particulièrement émouvante.

Le fuyard, vu ainsi de dos, les coudes écartant la pèlerine et le bec profilé au-dessus de l’épaule droite, figurait parfaitement l’aigle héraldique qui meuble les armoiries de l’Empire Français. Ce prodige glorieux apparut une seconde à peine ; néanmoins je connus que je n’avais pas été seul la dupe d’une illusion d’optique. Les chasseurs qui poursuivaient l’Aigle s’arrêtèrent, interdits, à son aspect, mais leur hésitation ne dura que le temps de l’apparition.

Cependant, le pauvre oiseau humain détourna son bec et nous n’eûmes plus devant nous qu’un malheureux faisant des efforts désespérés pour échapper à des ennemis implacables. Ils l’eurent bientôt rejoint. À la lueur des torches, je vis leurs mains sacrilèges s’abattre sur l’Aigle traqué. Il cria des paroles qui m’affolèrent et me paralysèrent au point que je n’eus même pas la pensée de me porter à son secours.

Voici ce que signifiait son cri suprême :

— Au secours ! Je suis l’héritier des Buonaparte…