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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/414

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L’AMI MÉRITARTE

touchant la façon dont se terminerait cette singulière fête. On craignait un coup de théâtre. Il eut lieu sous forme d’un canard à la rouennaise dont les sanglants lambeaux, que les convives dévorants se disputaient entre eux, eurent l’effet dramatique qu’on en attendait. Et lorsque après une lugubre salade Rachel, composée des pommes de terre les plus jaunes et des truffes les plus noires, l’ami Méritarte eut, d’un air déterminé, troublé notre âme par les détonations d’un grand nombre de bouteilles de champagne, l’émotion fut à son comble, et comme il n’y eut ni fromage ni dessert d’aucune sorte, mais seulement un peu de café tiède sans sucre, nous partîmes dans un état de malaise difficile à décrire, et l’impression que nous causa ce premier drame culinaire ne disparaîtra jamais de nos mémoires.

Quelque temps après cette sombre tragédie, l’ami Méritarte nous convia à un régal de comédie. Il y eut d’abord une soupe madrilène à la glace qui provoqua des sourires. Mais tout le monde éclata de rire quand notre hôte nous eut renseignés sur l’origine taurine des criadillas qui suivirent. Les plaisanteries reprirent de plus belle autour d’une