Page:Apollinaire - Lettres à Lou (extrait lettres 138 et 149), 1990.djvu/7

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penser à tout ― tu recevais une nouvelle peu amusante à mon propos ― n’en dis rien ― comme ça tu pourras rester tranquillement dans le pigeonnier. Envoie-moi d’autres photos de toi, mon chéri, ça ne fait rien si tu n’es pas seule ― Plus j’aurai d’images de mon Lou, plus je serai content ― Envoie pas la bi-oxyne ― me la procurerai autrement.

Hier, nuit, allant à la batterie, dans un bois, un poilu débouche sur moi, je le vois quand il est sur moi. En temps ordinaires, dans ces cas-là, au coin d’un bois, on s’entend demander « La Bourse ou la Vie. » Pas du tout. C’était un poilu qui voulait me demander de faire toucher par le vaguemestre un mandat qu’il m’a confié. Amusante image de la guerre.

Envoie vite la mesure de la bague ― mais garde aussi la première.

Chérie, aujourd’hui, grande sensualité ― te désire beaucoup, beaucoup, très, très excité ― Ai regardé longtemps la petite photo où t’es dans l’herbe, visage tourné à gauche de profil, un beau bras nu jusqu’au coude et un air de jouir, de jouir ― Tu es ravissante dans ce petit tableau exquis et je voudrais bien t’avoir, nue, ton joli derrière bien en l’air, bien obéissante… Je t’adore, mon petit chéri. ― Il y a maintenant dans notre forêt beaucoup de douleurs et aussi de maux d’yeux. ― Les hommes pensent beaucoup à leurs femmes et j’entends beaucoup parler de faire menotte…

Moi, chérie, j’obtiens par la force des choses une grande perfection de mœurs qui résulte du genre et de la règle de ma vie actuelle. J’apprends à ne compter que sur moi-même, à ne jamais demander conseil à personne, à toujours prévoir les conséquences d’un acte. Cela ne m’empêche point d’ailleurs d’être un imaginatif, un poète, et peut-être même parfois et en certaines choses un névrosé, comme toute ma génération née et élevée dans le siècle de l’extrémité et de l’activité vitale excessive.

T’adore, t’adore, t’adore, t’adore.

Gui.