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Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/109

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Nous n’en étions plus, je dis nous parce que je me trouvai enrôlé tout de suite, nous n’en étions plus, Dieu merci ! en fait de littérature ni de sentiment, aux clairs de lune romantiques. Pareil à ces fleurs qui, lorsqu’on les change de climat, changent aussi de parfums, le vieil idéal des poètes, se transformant peu à peu dans la chaude atmosphère du Paris nouveau, était devenu matériel en quelque sorte. Idéal, matériel, ces mots jurent moins qu’ils n’en ont l’air.

Convaincus, comme chacun d’ailleurs me paraît l’être en ce siècle de large vie, que la terre est un grand jardin où les fruits savoureux ne manquent guère ; enragés de voir, ce qui nous paraissait une souveraine injustice, que les plus beaux n’étaient pas pour nous ; nous avions pris le parti de mener dans nos vers l’existence voluptueuse et désordonnée qu’il était interdit de mener plus efficacement. Nous nous étions faits par dépit libertins, césariens et sceptiques. Ardente soif de voluptés, vastes désirs inassouvis, tel était l’éternel sujet de nos poèmes. Tous les siècles, tous les pays, cités maudites et civilisations singulières, Thèbes aux cent portes et Persépolis, Sodome, Rome et Babylone, mises à contribution, nous fournissaient de maîtresses étranges et de plaisirs exorbitants ; l’Univers enfin et l’Histoire étaient pour nous comme un vaste marché d’esclaves où se promenait, en faisant son choix, notre toute puissante fantaisie.