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Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/28

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Un souvenir pourtant surnage entre toutes ces choses oubliées : le paravent de M. Antoine. Que de reconnaissance ne lui dois-je pas, à ce vénérable paravent déchiré aux angles, pour tant de merveilleux voyages qu’il me fit faire en imagination pendant l’ennui des longues classes ! Car lui, le premier, m’ouvrit le monde du rêve et de la poésie ; lui, le premier, m’apprit qu’il existait sur terre des pays plus beaux que Canteperdrix, d’autres maisons que nos maisons basses, et d’autres forêts que nos oliviers !

Il représentait, ce paravent, un flottant paysage aux couleurs ternies, encombré de jets d’eau, de châteaux en terrasse, de grands cerfs courant par les futaies, de paons dorés qui traînaient leur queue, et de hérons pensifs debout sur un pied au milieu d’une touffe de glaïeuls. Et le joueur de flûte assis sous le portique d’un vieux temple, et la belle dame qui l’écoutait ! Le joueur de flûte avait des jarretières roses, c’est de lui tout ce que je me rappelle, mais je trouvais la belle dame incomparablement belle dans sa longue robe de velours cramoisi et ses falbalas en point de Venise. Je m’imaginais quelquefois être le petit page qui venait derrière ; je la suivais partout, au fond des allées, sous les charmilles ; je ne pouvais me rassasier de la regarder. — « Qui est cette belle dame ? » demandai-je un jour à M. Antoine, en rougissant sans savoir pourquoi. M. Antoine prit son air grave, et après avoir