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Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome XI.djvu/165

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est sous la protection immédiate de la Constitution Bretonne. Ce Parlement constitutionnel n'enregistre jamais les impôts qu'après le consentement des États. On vous a dit, Messieurs, que cette Cour avait accablé le peuple d'une surcharge de plus de 10 millions d'impositions, sans la participation des États de la province. Le fait est incontestable, mais il suffit d'en indiquer les dates pour en réfuter les conséquences. En 1765, les magistrats du Parlement de Rennes donnèrent leur démission et furent remplacés par une commission de douze juges, connue en Bretagne sous le nom de bailliage d'Aiguillon. En 1771, la révolution générale de toute la magistrature du royaume éloigna du Parlement de Rennes les ministres Nationaux de la Loi. Ce n'est qu'à ces deux époques, ce n'est que par ces deux commissions passagères que les impôts ont été enregistrés à Rennes sans le consentement des États ; car c'est toujours à ces lâches complaisances, à ces honteuses prévarications que l'on reconnaît tous ces tribunaux ministériels, où l'on n'introduit des fantômes de la magistrature, que pour installer, dans le temple même des lois, les complices du despotisme. On nous dit encore, Messieurs, que la Province de Bretagne a renoncé à tous ses privilèges, et qu'une foule d'adresses parvenues à l'Assemblée nationale en a constaté l'abandon. Je suis loin de contester les bienfaits que notre nouvelle constitution prépare à tout le royaume, mais plus ils sont désirables, moins nous avons besoin de supposer une abdication anticipée de la Constitution Bretonne, que le peuple de cette Province n'a pu encore nous manifester. L'intérêt est le grand mobile des délibérations publiques, lorsqu'elles sont parfaitement libres. Or, Messieurs, lisez dans l'ouvrage de M. Necker le tableau comparé des contributions de toutes les Provinces ; vous y verrez qu'en vertu de cette Constitution [Bretonne] barbare à laquelle on prétend que les Bretons sont si impatients de se soustraire, chaque propriétaire, chaque individu paye la moitié moins d'impositions en Bretagne qu'on n'en supporte dans les autres Provinces des Pays d'élection.

« Est-il vraisemblable que, pour embrasser votre Constitution [Française] et pour s'assimiler en tout au reste du royaume, les communes de Bretagne soient disposées à doubler le prix de leurs contributions ? Ce mouvement d'enthousiasme est si extraordinaire, qu'il est au moins prudent et convenable d'en attendre l'acte solennel pour le déposer dans le trésor des chartes de la nation française. Eh ! par où, eh ! comment ce vœu du peuple breton peut-il nous avoir été transmis ? Nous avons défendu à toutes les provinces de s'assembler. Aucune division du royaume n'a donc pu prendre une détermination légale ; et le patriotisme admirable sans doute que l'on attribue aux Bretons n'a pu franchir encore la barrière qu'opposent nos décrets aux assemblées des Provinces. Quoi, Messieurs ! il faut qu'un arrêt du conseil autorise aujourd'hui les bailliages à se réunir pour élire des suppléants ou des représentants à l'Assemblée nationale; et une province, privilégiée aurait le droit de nous transmettre son vœu constitutionnel, sans avoir même besoin de s'assembler ! Nous avons un si grand intérêt à obtenir des Bretons cette abdication volontaire de leurs anciennes franchises, que nous devons leur faciliter l'exécution de toutes les formes légales qui peuvent seules garantir la validité de leur renonciation.

« Lorsque, dans la fameuse nuit du 4 août dernier, les représentants des Provinces ont souscrit à l'abrogation de leurs privilèges, les 66 députés de la Bretagne nous ont déclaré qu'ils étaient sans mission et sans pouvoirs, pour faire un pareil sacrifice, au nom de leurs commettants. Ils nous ont promis de le solliciter, et nous ont annoncé l'espérance de l'obtenir ; mais la défense que vous avez faite aux Provinces de s'assembler, n'a pas encore permis à la Bretagne de délibérer sur cette renonciation, inutilement prétendrait-on remplacer ce vœu d'une province par les adresses des villes qui adhèrent à tous nos décrets. Qui ne sait, Messieurs, que ces signatures, souvent mendiées ou extorquées, ou même contraintes, n'ont aucune force dirimante pour anéantir un contrat ? J'aurai bientôt l'occasion, en vous exposant l'affaire du prévôt de Provence, dont le rapport m'est confié, de vous révéler les manœuvres et les violences que l'on se permet dans les Provinces, pour faire constater par d'innombrables signatures, les impostures les plus avérées. Or, si de pareilles requêtes ne peuvent rien contre un particulier, comment pourraient-elles anéantir les droits de deux millions d'habitants ? J'ose avancer comme une vérité incontestable une proposition qui semble d'abord un paradoxe ; et cette vérité fondamentale dans la discussion qui nous occupe, la voici, Messieurs : si tous les Bretons, sans aucune exception, avaient souscrit séparément l'acte d'abandon de leurs privilèges, sans aucune assemblée commune, sans discussion, sans délibération, sans concert, cette renonciation partielle, quelque unanime qu'elle fût, ne suffirait pas pour abroger les droits de la Bretagne, et n'exprimerait point la résolution légale de cette Province. Non, l'unanimité de ces vœux individuels ne saurait jamais former un vœu collectif, parce que les contrats doivent être révoqués de la même manière qu'ils ont été sanctionnés. Ce principe de droit public nous indique le degré d'autorité de toutes les adresses que nous recevons des Provinces. C'est donc avec les États constitutionnels de la Bretagne que nous devons traiter la grande question des droits qui appartiennent à cette Province. Quand je dis les États de Bretagne, Messieurs, je n'oublie point toutes les plaintes qui se sont élevées contre leur organisation. Déjà cette Assemblée a déclaré elle-même qu'elle consentirait à une répartition d'impôts plus égale ; mais on ne peut pas en innover le mode par provision. Il est de toute justice d'améliorer la composition de ces États, comme il est de toute évidence que c'est avec les États qu'il faut en concerter la réforme et transiger sur les droits constitutionnels que la France a stipulés avec les Bretons.

« Quand on nous annonce, Messieurs, que le vœu de la Bretagne est de renoncer à tous ses privilèges, peut-on se flatter que nous adopterons de confiance cette promesse que rien ne saurait nous garantir ? Le décret, que vous avez rendu pour défendre les assemblées des provinces, vous réduit à l'unique expédient des probabilités et des inductions, pour juger de l'opinion de la Bretagne; mais, en vous bornant à de simples conjectures, vous avez du moins entre vos mains ; deux thermomètres infaillibles, pour juger des dispositions du peuple Breton, sur la foi des témoins les plus dignes de notre confiance. La Bretagne a soixante-six représentants dans cette Assemblée : cette députation tout entière vient de faire imprimer une adresse particulière à ses commettants. C'est dans cette pièce très-récente