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Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 2.djvu/207

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République ? Nous les soutiendrons au péril de nos têtes, et nos têtes ne tomberont pas…

Prenez garde aux blancs qui vous environnent ; leurs principes sont détestables : si vous vous laissez égarer ou dominer par eux, vous vous perdrez avec eux.

Les Espagnols et les brigands ont eu l’audace de vous attaquer ; ils pillent, ils brûlent et font beaucoup de mal. Combattez-les, repoussez-les, entrez chez eux si vous le pouvez : vous avez du renfort en hommes, vous avez reçu une pièce de canon et deux cents livres de poudre ; vous en recevrez encore, nous allons prendre incessamment des mesures pour que vous en receviez aussi de bouche.

Mais, quel que soit le succès, ce ne sera pas par les Espagnols ni par les brigands que la colonie périra ; ce sera par les contrariétés que nous éprouvons de la part des propriétaires : les désastres du Cap ont déjà donné une grande secousse ; encore un pas en sens contraire à la direction que nous donnons, et tout est bouleversé. Nous ne serons plus les maîtres d’arrêter le torrent. Le sol ne périra pas, les productions renaîtront ; mais les propriétaires ne seront plus les mêmes.

Si l’on cède aux Espagnols, aux brigands, ou si l’on mollit devant eux, disons mieux, si nous ne faisons pas la conquête de la partie espagnole, les Espagnols et les brigands envahissent, brûlent, pillent et dévastent tout.

Si vous contrariez les mesures que nous prendrons graduellement pour préparer, sans nuire à la culture, un affranchissement qui désormais est inévitable, cet affranchissement se fera tout à la fois par insurrection et par conquête ; dès lors plus de culture, plus de propriété. Que deviendra même la sûreté personnelle de tout homme libre, quel qu’il soit, quelle qu’en soit la couleur ? Il ne restera plus à Saint-Domingue que le pur sang africain, et le sol ne sera plus qu’un monceau de cendres et de ruines.

Vous avez parmi vous des philanthropes imprudens, qui voudraient l’affranchissement subit et universel ; ceux-là n’ont pas calculé ce que produirait cette révolution avec des hommes qui ne sentent pas encore la nécessité du travail, parce qu’ils n’ont encore que des jouissances bornées, et qu’ils ont, par conséquent, peu de besoins. Vous avez parmi vous des aristocrates de la peau, comme il y en a parmi les blancs : aristocrates plus inconséquens, plus ingrats que les blancs… Car ceux-ci n’humilient que leurs enfans, et ne les tiennent pas éternellement dans les fers, et vous, c’est de vos frères, que vous vous déclarez les ennemis ! ce sont vos mères que vous voulez retenir éternellement dans