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Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 3.djvu/393

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çaient la confiance. Sa conversation était animée ; plus de soupçons, plus de réserve. Il paraissait s’abandonner avec plaisir dans la conversation ; et dans les rapports particuliers que j’eus alors avec lui, j’eus souvent lieu d’admirer la justesse de son jugement, la finesse de ses reparties, et une combinaison d’idées vraiment étonnante dans un homme né et vieilli dans l’esclavage, dont le soin des mulets et des chevaux avait fait plus de 40 ans la principale occupation, et dont toutes les études s’étaient bornées à apprendre à lire et à signer assez mal son nom. Il ne parlait que de son amour pour la France, et de son respect pour le gouvernement ; il se présentait comme le vengeur et l’appui des droits de la métropole, et tous les amis de l’ordre et de la paix faisaient tous leurs efforts pour se persuader de sa sincérité. Nous ne pouvions oublier qu’il était un des principaux auteurs des désastres de la colonie, et un des chefs les plus marquans de ces bandes de noirs révoltés qui, le poignard et la torche à la main, de la contrée la plus opulente de l’univers, avaient fait une terre de désolation et de deuil ; mais nous lui cherchions des excuses dans l’empire des circonstances ; nous nous travaillions pour lui trouver des vertus qui pussent nous rassurer sur les suites d’un acte aussi attentatoire à l’autorité nationale que rembarquement à main armée d’un représentant du gouvernement français. Nous voulions l’attacher invinciblement à la République, et nous étourdir nous-mêmes par le concert de nos louanges et de nos acclamations. Nous faisions comme les enfans qui chantent la nuit quand ils ont peur, ou comme un voyageur qui, surpris par un lion dans son antre, tâcherait par des caresses, de fléchir le terrible animal, et de se faire un protecteur du monstre même qui peut le dévorer.