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Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 7.djvu/388

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etc., comme s’il ne se ressouvenait plus des reproches dont il avait été lui-même l’objet dans le passé, pour respecter celui qui l’avait accueilli avec tant de fraternité : devenu le chef d’une faction, son langage devait inévitablement être en rapport avec cette position. Pétion le laissa dire tout ce qu’il voulut, en lui montrant le même flegme qu’aux sénateurs, lisant en face de lui leurs Remontrances du 28 juillet 1808.

Mais le général Delva, sans doute indigné de ce langage hautain et déplacé, le releva avec une véhémence extraordinaire. Il lui rappela les faits antérieurs de la guerre civile avec Toussaint Louverture, et reproduisit tous les reproches qu’on lui avait adressés alors, en ajoutant que son ambition voulait encore exciter une division funeste à son pays, etc[1].

Pétion n’ayant pas interdît la parole à Delva, Rigaud fut tellement courroucé, qu’il frappa son pied droit de la pointe de son épée, croyant frapper à terre. À ce moment, Pétion lui dit : « Général, vous vous êtes blessé ! — Ce n’est rien, répondit Rigaud ; » et il frappa encore son pied de son épée : ce qui lui occasionna une blessure qu’on ne put guérir et qui contribua à sa mort. Ce fait, où la vanité le disputait à l’orgueil, peint mieux le caractère de Rigaud que tout ce qu’on pourrait en dire.

Enfin, le Président d’Haïti, chef de l’État, parla à son tour ; et ce fut pour dire au général Rigaud que, puisque les citoyens du département du Sud pensaient qu’il était de leur intérêt de se séparer de celui de l’Ouest, de diviser

  1. Delva avait donné à Rigaud, en 1799, les plus grandes preuves de dévouement. Mais, forcé de s’expatrier avec lui en 1800, il avait erré sur la terre étrangère durant sept ans ; il pouvait s’indigner de la nouvelle entreprise de Rigaud, qui n’était nullement nécessitée par les circonstances où l’on se trouvait en 1810.