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Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/322

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les avant-soupers avec la mienne, ce qui faisait une partie carrée. La demoiselle que j’aimais n’était pas assez novice dans le monde pour ne pas me deviner. Il est bien peu d’Agnès à un certain âge dans les garnisons ; elle m’épargna des protestations inutiles, et, jugeant de mon amour plutôt par mes assiduités que par mes discours, je trouvai, quand je voulus lui apprendre que je l’aimais, qu’il y avait long-temps qu’elle le savait.

Je n’avais jamais su, lorsque j’aimais, faire des réflexions ; je ne commençai pas cette fois-ci ; je m’engageai avec autant de vivacité que si ç’avait été ma première passion. Clairac, qui jugeait de sang-froid combien il serait dangereux que j’allasse trop avant, m’aimait trop pour ne pas m’avertir. Marquis, me dit-il, j’ai cru, quand tous avez commencé d’aimer, que vous feriez de votre passion un amusement et point une affaire sérieuse ; ce n’est pas ici une grisette que vous aimez, c’est une fille de condition : vous avez deux excès à éviter dans lesquels je vous vois tomber : le premier de donner votre maîtresse au public, et le second de promettre plus qu’il ne convient que vous teniez ; songez perpétuellement que vous n’êtes point votre maître :