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Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/319

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V. Sur cette matière, l’art n’est pas encore constitué, parce que l’action n’est venue que tardivement s’appliquer à l’élocution et que, à bien la considérer, elle paraît être futile ; seulement, comme un traité de rhétorique doit d’un bout à l’autre être rédigé en vue de l’opinion, il nous faut nous préoccuper non point de ce qui est bien en soi, mais de ce qui est nécessaire, attendu qu’il convient, à vrai dire, en fait de discours, de ne pas s’appliquer à autre chose de plus qu’à ne pas affliger ni réjouir (l’auditoire). La justice, en effet, c’est de lutter en s’armant des seuls faits, si bien que tout ce qui est étranger à la démonstration est superflu. Toutefois (l’action) a une grande puissance, comme on vient de le dire, par suite de l’imperfection morale des auditeurs.

VI. Ainsi donc la question de l’élocution a un côté quelque peu nécessaire en toute sorte d’enseignement, car il est assez important, pour faire une démonstration quelconque, de parler de telle ou telle façon, mais ce n’est pas déjà d’une aussi grande importance (que pour la rhétorique) ; car tout, dans cet art, est disposé pour l’effet et en vue de l’auditeur. Aussi personne ne procède ainsi pour enseigner la géométrie. Lorsque, par conséquent (l’action) interviendra, elle donnera le même résultat que l’hypocritique[1].

VII. Quelques-uns ont entrepris de traiter en peu de mots cette dernière question (au point de vue oratoire) ; Thrasymaque[2], par exemple, dans son livre

  1. L’hypocritique, ὑποκριτική, l’art du jeu scénique, une des parties de la musique d’après une classification que nous ont conservée Martien Capelle (liv. IX, § 936) et Michel Psellus, dans un texte inédit que nous avons publié (Archives des missions sc. et litt., 3e série, t. II, 1875, p. 618), et traduit (Annuaire de l’Association grecque, 1874, p. 140).
  2. Sur Thrasymaque de Chalcédoine, contemporain de Platon, cp. Cicéron, Brutus, § 30 ; Quintilien, Inst. orat., III, 3 ; Philostrate, Vie des Sophistes, § 14. Cicéron parle des Ἔλεοι [λόγοι], titre qu’il traduit par Miserationes (De Oratore, III, 32).