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Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/365

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IV. Il en est de même de l’absence de conjonctions : « Je suis arrivé, je l’ai recherché, je lui ai demandé… » Il faut mettre de l’action et ne pas prononcer ces mots en les disant tour à tour dans le même sentiment et sur le même ton. Les phrases dépourvues de conjonction offrent encore une particularité, c’est qu’il semble que l’on dise plusieurs choses dans le même moment ; car la conjonction isole plusieurs choses qui se succèdent ; de sorte que, si on la supprime, il est évident que la pluralité cède la place à l’unité, et de là résulte une gradation : « J’arrive, je prends la parole, je fais de nombreuses supplications ; mais il semble dédaigner ce que je dis, ce que j’affirme. » Homère recherche cet effet dans ce passage :

Nirée de Symé…
Nirée, fils d’Aglaé…
Nirée, le plus beau des hommes [1]


En effet, celui de qui l’on dit plusieurs choses doit, nécessairement, être nommé plusieurs fois. Par suite, si on le nomme plusieurs fois, on semble dire de lui plusieurs choses. De cette façon il l’a grandi, tout en ne le mentionnant qu’une seule fois, grâce à l’illusion qu’il produit, et il en fixe le souvenir, bien qu’il n’en reparle plus nulle part.

V. Quant à l’élocution propre aux harangues, elle ressemble tout à fait à un tableau ; car plus les objets figurés sont nombreux, plus il faut se mettre loin pour le contempler. Aussi, dans l’une comme dans l’autre, les détails négligés et imparfaits ont l’apparence de la précision. L’élocution judiciaire demande plus d’exactitude, surtout quand on a affaire à un juge unique ; car, dans ce cas, il n’y a pas moyen de

  1. Homère, Iliade, II, 671.