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Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/314

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souvent dans la bouche de cette personne de qualité, lorsqu’on ne daignera pas même l’écouter dans celle d’un homme de basse condition. L’Écriture a voulu nous instruire de cette humeur des hommes, en la présentant parfaitement dans le livre de l’Ecclésiastique[1] : Si le riche parle, dit-elle, tout le monde se tait et on élève ses paroles jusqu’aux nues ; si le pauvre parle, on demande qui est celui-là ? Dives locutus est ; et omnes tacuerunt, et verbum illius usque ad nubes perducent : pauper locutus est, et dicunt : quis est hic ?

Il est certain que la complaisance et la flatterie ont beaucoup de part dans l’approbation que l’on donne aux actions et aux paroles des personnes de condition, et qu’ils l’attirent souvent aussi par une certaine grâce extérieure et par une manière d’agir noble, libre et naturelle, qui leur est quelquefois si particulière qu’elle est presque inimitable à ceux qui sont de basse naissance ; mais il est certain aussi qu’il y en a plusieurs qui approuvent tout ce que font et disent les grands, par un abaissement intérieur de leur esprit qui plie sous le faix de la grandeur et qui n’a pas la vue assez ferme pour en soutenir l’éclat, et que cette pompe extérieure qui les environne en impose toujours un peu, et fait quelque impression sur les âmes les plus fortes.

La raison de cette tromperie vient de la corruption du cœur des hommes, qui, ayant une passion ardente pour l’honneur et les plaisirs, conçoivent nécessairement beaucoup d’amour pour les richesses et les autres qualités par le moyen desquelles on obtient ces honneurs et ces plaisirs. Or, l’amour que l’on a pour toutes ces choses que le monde estime fait que l’on juge heureux ceux qui les possèdent ; et en les jugeant heureux, on les place au-dessus de soi, et on les regarde comme des personnes éminentes et élevées. Cette accoutumance de les regarder avec estime passe insensiblement de leur fortune à leur esprit : les hommes ne font pas d’ordinaire les choses à

  1. Ch. xiii, v. 28, 29.