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Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/328

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admirable de proportions ; et qu’il n’y ait aucune des parties de ce grain qui ne contienne encore un monde proportionnel ! Quelle peut être la partie, dans ce petit monde, qui répond à la grosseur d’un grain de blé, et quelle effroyable différence doit-il y avoir, afin qu’on puisse dire véritablement que ce qu’est un grain de blé à l’égard du monde entier, cette partie l’est à l’égard d’un grain de blé ! Néanmoins cette partie, dont la petitesse nous est déjà incompréhensible, contient encore un autre monde proportionnel, et ainsi à l’infini, sans qu’on en puisse trouver aucune qui n’ait autant de parties proportionnelles que tout le monde, quelque étendue qu’on lui donne[1].

Toutes ces choses sont inconcevables, et néanmoins il faut nécessairement qu’elles soient, puisque l’on démontre la divisibilité de la matière à l’infini, et que la géométrie nous en fournit des preuves aussi claires que d’aucune des vérités qu’elle nous découvre[2].

Car cette science nous fait voir qu’il y a de certaines lignes qui n’ont nulle mesure commune, et qu’elle appelle pour cette raison incommensurables, comme la diagonale d’un carré et les côtés. Or, si cette diagonale et ces côtés étaient composés d’un certain nombre de par-

  1. « Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? mais pour lui représenter un autre prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il connaît les choses les plus délicates, qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites… Qu’il y voie une infinité d’univers. » Pensées de Pascal, art. I.
  2. « Dès que Votre Altesse m’accorde qu’une ligne peut être divisée en mille parties, en partageant chaque partie en deux, elle sera aussi divisible en mille parties, et par la même raison en quatre mille parties, et puis en huit mille, sans qu’on parvienne jamais à des parties si petites qu’on ne puisse plus diviser. Quelque petite qu’on conçoive une ligne, elle est divisible en deux moitiés, et ensuite chaque moitié en deux, et chacune de celles-ci encore en deux, et ainsi de suite à l’infini. Ce que je viens de dire ici d’une ligne s’applique aisément à une surface, et encore à plus forte raison à un solide doué de toutes les trois dimensions en longueur, largeur et profondeur. De là on dit que toute étendue est divisible à l’infini, et cette propriété est nommée la divisibilité à l’infini. Quiconque voudrait nier cette propriété de l’étendue serait obligé de soutenir qu’on en viendrait à des parties si petites, qu’elles ne seraient plus susceptibles d’une division ultérieure ; et cela, parce qu’elles n’auraient plus d’étendue. Cependant toutes ces particules prises ensemble doivent reproduire le tout, par la division duquel on y est parvenu ; donc, puisque la quantité de chacune serait rien ou zéro, plusieurs zéros pris ensemble produiraient quelque quantité, ce qui est manifestement absurde. » Euler, Lettres à une princesse d’Allemagne, xi, 4.