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Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/406

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elle recueille ses matériaux sur les fleurs des jardins et des champs, mais elle les transforme et les distille par une vertu qui lui est propre : c’est l’image du véritable travail de la philosophie, qui ne se fie pas aux seules forces de l’esprit humain et n’y prend même pas son principal appui ; qui ne se contente pas non plus de déposer dans la mémoire, sans y rien changer, des matériaux recueillis dans l’histoire naturelle et les arts mécaniques, mais les porte jusque dans l’esprit modifiés et transformés. C’est pourquoi il y a tout à espérer d’une alliance intime et sacrée de ces deux facultés expérimentale et rationnelle, alliance qui ne s’est pas encore rencontrée.

Jusqu’ici, la philosophie naturelle ne s’est jamais trouvée pure, mais toujours infestée et corrompue : dans l’école d’Aristote, par la logique ; dans l’école de Platon, par la théologie naturelle ; dans le néo-platonisme de Proclus et des autres, par les mathématiques qui doivent terminer la philosophie naturelle et non l’engendrer et la produire. Mais on doit espérer beaucoup mieux d’une philosophie naturelle, pure et sans mélange.

Personne jusqu’ici ne s’est rencontré avec un esprit assez ferme et rigoureux, pour s’imposer déterminément la loi de ruiner complètement en lui toutes les théories et les notions communes, et d’appliquer de nouveau à l’étude des faits son intelligence purifiée et nette. C’est pourquoi la raison humaine, telle qu’elle est maintenant, est un amas de notions incohérentes, où le crédit d’autrui, le hasard et les idées puériles que nous nous sommes faites dans notre enfance, jouent le principal rôle.

Si un homme d’un âge mûr, jouissant de tous ses sens, et d’un esprit purifié, s’applique de nouveau à l’expérience et à l’étude des faits, on doit bien augurer de son entreprise. Et c’est où nous osons nous promettre la fortune d’Alexandre le Grand ; et qu’on ne nous accuse pas de vanité, avant d’avoir entendu la fin, qui est faite pour ôter toute vanité.

Il est vrai qu’Eschine parla ainsi d’Alexandre et de ses hauts faits : « Pour nous, nous ne vivons pas une vie mortelle, mais nous sommes nés pour que la postérité raconte de nous des merveilles. » Comme s’il eût vu dans les actions d’Alexandre des miracles.

Mais dans les âges suivants, Tite Live a frappé plus juste, en disant d’Alexandre quelque chose de semblable à ceci :