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PENSÉE FRANÇAISE

foin. Ils songent maintenant à peine à leur île, à leurs frères qui ne sont pas soldats, à leurs femmes, à leurs sœurs, à leurs vieux parents. Quelques sous par jour, venus à point, ne sont pas à dédaigner. La solution du problème qui préoccupait leur race, ils la tiennent. C’était bien la peine, vraiment, à Robert Emmet de jouer sa tête et à Grattan de braver les prisons anglaises. Le soldat Irlandais sera désormais le fort-à-bras des côtes britanniques. De la Crimée aux Indes, des Indes à l’Égypte et de l’Égypte au Transvaal, en passant par d’autres étapes, il va ferraillant pour les oppresseurs des siens. Il se fait battre sans regret, comme il triomphe sans enthousiasme. Il se fait même volontiers faire prisonnier, comme à Nikolson’s Nek et à Stromberg. Bref, il gagne son shilling a day. L’Anglais, qui s’y connaît en hommes aussi bien qu’en bétail, sait que penser de la bravoure de ces mercenaires. Mais chut, s’il s’en ouvrait le cœur, on saurait bientôt à quoi s’en tenir sur le véritable état des esprits dans le Royaume-Uni.

Les protestations de John Redmond, Michael Davitt et tous les autres députés irlandais, cela ne signifie rien : voyez donc comme les Irlandais se sont fait hacher au passage de la Tugela ! Le cri d’opprobe poussé par la presse irlandaise de tous les pays à la vue des horreurs sud-africaines, cela ne saurait compter : voyez donc les pertes magnifiques subies par la même brigade au repassage de la même rivière ! La bravoure irlandaise est une réplique à tout. La presse anglaise, les hommes d’État anglais parlent avec éloges des « héros celtiques », et le bon paddy, d’autant plus sensible aux honneurs qu’il y est moins accoutumé, s’aperçoit, ô délices, que la faim en le poussant au service du maître qu’il abhorre l’a tout simplement conduit à la victoire. Les rares Irlandais restés en Irlande ne peuvent plus même élever la voix