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SUR DOLLARD




J’AI connu à la guerre plusieurs héros authentiques. L’un était coutumier d’aller provoquer les Allemands en combat singulier par des lancers de grenades, et de recueillir les blessés sous les yeux et le feu de l’ennemi. Il blaguait comme tout le monde, sacrait comme un peu tout le monde, avait tous les petits défauts de la nature humaine. Un autre, à Paschendaele (après mon départ du front, car je n’étais pas là), blessé lui-même, porta sur ses épaules, sur une distance de plus d’un mille, à travers une rafale de fer et de feu, et dans la boue jusqu’aux hanches, un capitaine qu’il ne connaissait pas ; ce qui lui valut la Distinguished Military Cross, qui est pour le troupier, dans l’armée britannique, la plus haute décoration après la Croix de Victoria. Élevé dans les « chantiers » de l’Outaouais, il adorait l’alcool, ne pouvait ouvrir la bouche sans blasphémer : moralement, c’était bien, à certains égards, un des êtres les plus ravalés de la création. Un troisième, fils d’un cultivateur aisé du Richelieu, ne se mettait jamais à couvert pour travailler à l’aménagement de la tranchée ; en plein jour et à cinq cents pieds de l’ennemi, il maniait la pelle du haut du parapet, pendant que les balles sifflaient à ses oreilles. « Dans la tranchée, disait-il, il fait bien chaud ».