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Page:Audoux - La Fiancee.djvu/113

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la plaine lui sembla pareil à une étoffe déteinte par l’usure et toute déchirée au bord. Tout ce qu’elle voyait aujourd’hui lui paraissait différent des autres fois. La tête de vieillard à longue barbe qu’elle avait toujours vue au sommet du mont Blanc prenait la forme d’un chien levant son museau pour hurler tristement ; et les barques du lac, avec leurs voiles pointues comme les ailes des hirondelles, la faisaient penser à de grands oiseaux blessés en danger de se noyer. Elle fermait les yeux pour tâcher de revoir les choses sous leur ancienne forme, mais elle n’y parvenait pas. Elle n’en éprouvait d’ailleurs nul ennui. Elle regrettait seulement que son père ne fût pas là pour en rire avec elle, ainsi qu’il l’avait fait la première fois qu’ils étaient venus ensemble sur ce chemin, et qu’elle avait vu les choses tout à l’envers.

C’était à la place même où elle se trouvait en ce moment que le contrebandier s’était arrêté pour lui dire :

— Tu n’as pas de chance, on ne voit pas le lac de Genève aujourd’hui.

Il avait ajouté en abaissant son bâton :