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Page:Audoux - La Fiancee.djvu/44

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Nestine mourait d’ennui ici, elle pouvait s’en retourner à Paris, libre à elle. Quant à lui, plutôt que de reprendre sa vie de bête enfermée, il resterait à s’ennuyer tout seul, tout son saoul, et jusqu’à la fin, dans sa maison pleine d’air et de soleil.

Et, comme pour fortifier sa résolution, tous les mauvais souvenirs lui revinrent à la fois et s’envolèrent comme des oiseaux noirs chassés par la peur.

Au décès de son père, mort jeune encore après des privations inimaginables, Nestin avait pris sa place dans l’étroite échoppe, s’était assis sur le même tabouret et ne s’en était plus jamais séparé. En avait-il raccommodé de ces souliers, de toutes formes et de toutes mesures !…

Certains, aux tiges plissées en accordéon, aux semelles ravagées, ayant traîné dans on ne savait quelle boue épaisse et infecte, d’autres dont les bouts carrés, arrondis ou pointus se relevaient et s’ouvraient comme des bouches de poissons voraces. Et les talons blessés à mort qui restaient obstinément couchés sur le côté et qu’on parvenait si difficilement à