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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/123

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ce qu’a pensé notre Cyprien[1], vous trouverez peut-être que nous ne manquons pas d’autorités que nous pouvons invoquer à l’appui de notre opinion. D’ailleurs je vous ai déjà dit que les livres canoniques sont les seuls à qui je doive une libre soumission, les seuls que je suive avec le sentiment que leurs auteurs ne peuvent errer en rien, ni écrire rien de faux. Si je cherchais un troisième auteur, pour en opposer trois aux trois que vous citez, je le trouverais, je crois, sans peine, en lisant beaucoup ; mais en voici un qui me tiendra lieu de tous les autres ; bien plus, qui est au-dessus de tous les autres, c’est l’apôtre Paul lui-même. J’ai recours à lui ; c’est à lui que j’en appelle du sentiment contraire au mien, exprimé par les commentateurs de ses Épîtres ; je l’interpelle, je lui demande si, en écrivant aux Galates qu’il avait vu Pierre ne pas marcher droit selon la vérité de l’Évangile, et qu’il lui avait résisté en face parce qu’il forçait les gentils à judaïser, il a écrit la vérité ou s’il a menti par je ne sais quelle condescendance de fausseté. Et je l’entends me crier d’une voix religieuse au début de son récit : « Voilà que je prends Dieu à témoin que je ne mens pas dans ce que je vous écris[2] ».

25. Que ceux qui pensent autrement me le pardonnent ; mais je crois plus un aussi grand apôtre prenant Dieu à témoin dans ses écrits de sa propre véracité, qu’un auteur quelque savant qu’il soit, dissertant sur les écrits d’autrui. Je ne crains pas qu’on dise que je défends ainsi Paul, non point par ce qu’il a simulé l’erreur des juifs, mais parce qu’il a été véritablement dans leur erreur ; il ne simulait pas cette erreur, lui qui usant d’une liberté apostolique convenable au temps, pratiquait au besoin, pour les honorer, ces anciennes cérémonies, établies non par la ruse de Satan afin de tromper les hommes, mais par la Providence de Dieu, dans le but d’annoncer les choses futures ; et certainement il n’était pas non plus dans l’erreur des juifs, lui qui non-seulement savait, mais prêchait vivement et sans cesse que c’était une erreur d’imposer aux gentils ces cérémonies, et de les juger nécessaires à la justification des fidèles, quels qu’ils fussent.

26. J’avais dit que Paul s’était fait comme juif avec les juifs, et comme gentil avec les gentils, non pas par une ruse menteuse, mais par une tendresse compatissante ; et il me semble qu’ici vous m’avez peu compris ; ou plutôt je ne me suis peut-être pas suffisamment expliqué moi-même. Je n’ai pas voulu faire entendre que Paul ait dissimulé par miséricorde, mais qu’il avait été sincère dans ce qu’il faisait comme les juifs, autant qu’il l’était dans ce qu’il fit comme les gentils et que vous rappelez vous-même ; et ici j’avoue avec reconnaissance que vous êtes venu à mon aide. Je vous avais demandé dans ma lettre comment il faut entendre que Paul se soit fait juif avec les juifs en feignant de pratiquer les cérémonies des juifs, puisqu’il s’est fait gentil avec les gentils sans feindre de sacrifier aux idoles comme les gentils ; vous m’avez répondu qu’il s’était fait gentil avec les gentils en recevant les incirconcis, en permettant qu’on se nourrît indifféremment des viandes condamnées par les juifs : mais, dites-moi, a-t-il fait tout ceci par dissimulation ? S’il serait absurde et faux de l’affirmer, admettez que dans ce qu’il a fait pour se conformer à la coutume des juifs avec une sage liberté, il n’agit point par une nécessité servile, et chose plus indigne encore, par une trompeuse dispensation.

27. En effet, il déclare aux fidèles et à ceux qui ont connu la vérité, à moins qu’on ne l’accuse ici de mensonge, « que toute créature de Dieu est bonne, et qu’on ne doit rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces[3]. » Paul croyait donc, Paul qui était non-seulement un homme fidèle, mais surtout un fidèle dispensateur ; lui, qui non-seulement connaissait la vérité, mais qui en était le docteur ; il regardait donc, non avec dissimulation, mais sincèrement comme bon tout ce qui a été créé de Dieu pour la nourriture des hommes. Et puisqu’il s’était fait gentil avec les gentils, sans feindre aucune observance de leurs sacrifices et de leurs cérémonies, mais seulement en connaissant lui-même et en enseignant ce qu’il fallait penser des viandes et de la circoncision, pourquoi n’aurait-il pas pu se faire juif avec les juifs sans avoir l’air de pratiquer les cérémonies des juifs ? Pourquoi aurait-il gardé la fidélité d’un bon dispensateur pour l’olivier sauvage enté sur l’olivier franc, et aurait-il pris je ne sais quel voile de dissimulation à l’égard des branches naturelles qui tenaient au tronc de l’arbre ? Pourquoi se serait-il fait gentil avec

  1. Lett, LXXI, à Quintus.
  2. Gal. I, 20.
  3. I Tim, IV, 4.