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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/127

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aucune manière abandonner ! Mais parce que le peu de temps que nous nous sommes vus ne nous a pas permis d’élucider ensemble et avec soin cette question, votre sainteté trouvera ici ce qui m’a paru le meilleur après y avoir beaucoup pensé depuis que nous sommes séparés ; et si vous êtes de cet avis, qu’on leur envoie au plus tôt la lettre que je leur ai écrite en votre nom et au mien[1].

2. Vous avez dit qu’on leur donne une moitié, et que je leur procure l’autre moitié, de quelque part que ce soit. Je pense, moi, que si on leur ôte tout, on saura au moins que ce n’est pas d’argent, mais de justice, que nous nous occupons tant. Mais si nous leur accordons une moitié et que nous composions ainsi avec eux, on dira qu’il n’y avait qu’une question d’argent dans toute la peine que nous avons prise ; vous voyez quel mal il s’ensuivra ; aux yeux des gens de Thiave nous passerons pour avoir retenu la moitié d’une chose qui ne nous appartenait pas ; à nos yeux, ils auront le tort d’avoir injustement souffert de profiter de la moitié d’un bien qui revenait tout entier aux pauvres. « Il faut prendre garde, dites-vous, tout en voulant régulariser une chose douteuse, de faire de plus grandes blessures. » Cette observation sera également vraie si on leur accorde moitié ; car pour conserver cette moitié comme on veut le faire ici, ceux dont nous voulons favoriser la conversion[2] seront portés à retarder le plus possible la vente de leur bien. Ensuite la question est-elle vraiment douteuse quand il s’agit, en évitant de fâcheuses apparentés, d’épargner à tout un peuple le scandale énorme de croire souillés d’une avarice sordide, ses propres évêques, pour lesquels il a tant d’estime ?

3. Celui qui se retire dans un monastère, s’il le fait d’un cœur sincère, ne pense pas à retarder l’accomplissement de ses engagements, surtout après avoir été averti combien ce serait mal. S’il trompe, s’il cherche ses intérêts et non point ceux de Jésus-Christ[3], il n’a pas la charité ; et dès lors que lui servirait-il d’avoir distribué tous ses biens aux pauvres, et même d’avoir livré son corps pour être brûlé[4] ? Ainsi que nous l’avons dit ensemble, le plus sûr moyen d’éviter ces difficultés, c’est de n’ad mettre personne dans nos communautés avant que le postulant soit entièrement débarrassé des empêchements du siècle, c’est d’attendre qu’il ne possède plus rien. Mais cette mort des faibles, cet immense obstacle au salut des malheureux que nous cherchons avec tant de peine à ramener à l’unité catholique, nous ne pouvons l’éviter autrement qu’en leur montrant avec évidence que l’argent ne nous occupe pas dans une semblable affaire. Ils ne le croiront pas, à moins que nous ne leur abandonnions ce qu’ils pensent avoir toujours été le bien de ce prêtre ; et si ce bien n’était pas à lui, ils auraient dû le savoir dès le commencement.

4. Il me paraît donc que l’on doit conserver pour règle, en cette matière, que tout ce qui appartient à un clerc, par le droit ordinaire de propriété, devient la possession de l’Église pour laquelle on l’a ordonné. Or le bien dont il s’agit appartient tellement par ce droit au prêtre Honoré, que s’il n’avait pas été ordonné clerc, qu’il fût resté dans le monastère de Thagaste, et fût mort sans avoir ni vendu ni légué ce bien par une donation incontestable, il serait devenu la propriété de ses héritiers : c’est ainsi que le frère Emilien hérita des trente sous d’or[5] de son frère Privat. On doit donc prendre ses précautions à cet égard ; si les précautions n’ont pas été prises, il faut se conformer au droit établi dans la société civile : nous échapperons ainsi, non-seulement à tout ce qui est mal, mais encore à toute mauvaise apparence, et nous garderons cette bonne renommée si nécessaire à un ministère comme le nôtre. Or, que votre sainte prudence considère combien ces apparences sont contre nous. Craignant de me tromper moi-même, comme je le fais d’ordinaire lorsque je me laisse trop aller sur la pente de mon sentiment, j’ai conté toute l’affaire à notre collègue Samsucius, sans toutefois lui parler de la peine où nous avions vu les gens de Thiave ; et avant de lui faire connaître quel est actuellement mon avis, je lui ai confié ce que nous avions cru devoir faire vous et moi, pour résister aux prétentions de ce peuple. Il a eu horreur de ce que je lui ai dit et a été étonné que nous ayons pu penser

  1. Cette lettre nous manque.
  2. En les admettant dans nos monastères.
  3. Philip. II, 21
  4. I Cor. XIII, 3
  5. Le sou d’or ou le sol d’or, qui était en usage en Afrique sous la domination romaine, et qui passa dans la monnaie des Francs, conquérants des Gaules, se retrouve jusques au commencement de la troisième race de nos rois. On ne pourrait aujourd’hui que très-approximativement en déterminer la valeur.