Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des régions basses, mais que ce soit aujourd’hui, tandis que l’esprit gouverne ce corps ; pénétrez dans le ciel par votre cœur, la chair ne vous arrêtera pas. Mourez dès à présent à la vie des sens, et pensez d’avance, avec un esprit serein, aux biens de la vie céleste. Quoique vous soyez retenu par un corps, vous êtes esprit si, vainqueur dans une pieuse pensée, vous anéantissez maintenant l’ouvrage de la chair. Je vous ai écrit ceci, mon cher enfant, poussé par un amour confiant ; si vous le recevez, Dieu vous recevra. Croyez en Augustin ; il y en a deux en moi pour vous : acceptez deux pères avec un même amour. Serons-nous méprisés ? Vous serez séparé de deux pères par une plus grande douleur. Serons-nous entendus ? Vous serez pour tous les deux une douce récompense. Deux pères auront laborieusement, mais avec amour, travaillé pour vous ; ce sera pour vous un grand honneur de les réjouir tous les deux. Mais, lorsque je m’unis à Augustin, je ne me donne point pour son égal en mérite ; je ne me compare à lui que par mon amour pour vous. Que puis-je répandre, moi si pauvre dans mon onde épuisée ? Sans parler de moi, vous êtes arrosé par deux fleuves : Alype est votre frère, Augustin est votre maître ; celui-là est votre parent, celui-ci est le père de votre intelligence. Vous avez un tel frère et un tel maître, Licentius, et vous hésitez à vous envoler vers les cieux avec de pareilles ailes !

Quoi que vous fassiez (que le monde n’espère plus vous avoir pour ami), vous ne donnerez pas à la terre une âme qui appartient au Christ. Vous avez beau aspirer aux joies nuptiales et aux emplois élevés, vous allez vous restituer à votre maître. Deux justes doivent vaincre un seul pécheur ; leurs fraternelles prières triompheront de vos veaux. Revenez donc ; le maître par sa voix, le frère par son sang, tous deux prêtres, vous ordonnent de revenir. Ils veulent vous ramener au lieu natal, car maintenant vous vous tournez ardemment vers les terres étrangères ; le pays où sont les vôtres est bien plus votre pays. Voilà à quoi vous devez aspirer : ne passez pas votre temps avec les choses du dehors ; si vous refusez ce qui est votre bien, quelqu’un vous donnera-t-il ce qui ne vous appartient pas ? Vous ne serez plus à vous, et, traînant vos jours hors de vous-même, vous serez comme exilé de votre propre cœur. Le père, inquiet pour le fils, a maintenant assez chanté ; ce que je veux ou ce que je crains, je le veux et le crains autant pour vous que pour moi. Si vous accueillez cette page, elle vous portera un jour la vie ; si vous la repoussez, elle témoignera contre vous. Fils très-cher, que le Christ m’accorde votre santé, et qu’il fasse de vous son serviteur à tout jamais ! Vivez, je le demande à Dieu, mais vivez pour lui ; car vivre pour le monde est une œuvre de mort ; la vie vivante, c’est de vivre pour Dieu !

LETTRE XXXIII.

((Année 396.)

Augustin invite Proculéi leen, évêque donatiste à Hippone, à une conférence pour mettre fin au schisme.

AUGUSTIN À SON HONORABLE ET BIEN-AIMÉ SEIGNEUR PROCULÉIEN.

1. Je ne dois pas discourir longtemps avec vous sur le titre de ma lettre, pour aller au-devant des vaines susceptibilités des gens ignorants. Quelques-uns, à la vérité, peuvent ignorer qui de nous se trompe avant une discussion pleine et entière de la question ; mais comme nous nous efforçons de nous tirer naturellement de l’erreur, nous nous ! rendons mutuellement service, si nous agissons ensemble avec l’intention droite de nous délivrer du mal de la discorde. Celui aux yeux de qui nul cœur n’est fermé voit avec quelle sincérité et quel tremblement d’humilité chrétienne j’agis ; il le voit quand même la plupart des hommes ne le reconnaîtraient pas. Vous comprenez aisément ce que je n’hésite pas à honorer en vous. Ce que je regarde comme digne de quelque honneur, ce n’est point l’erreur de ce schisme dont je voudrais guérir tous les hommes, autant qu’il m’appartient ; avant tout, c’est vous que je n’hésite pas à honorer, parce que vous êtes uni à nous dans les liens de la société humaine, et parce qu’on remarque en vous des dispositions plus pacifiques qui vous feront embrasser facilement la vérité, dès qu’elle vous sera démontrée. Quant à l’affection, je vous en dois autant que nous ordonne d’en avoir les uns pour les autres Celui qui nous a aimés jusqu’à l’opprobre de la croix.

2. Ne soyez pas étonné de mon long silence auprès de votre Bénignité ; je ne savais pas que vous fussiez dans ces sentiments que m’a communiqués avec joie mon frère Evode, en qui je ne puis pas ne pas avoir confiance. Il nous a dit que, vous ayant par hasard rencontré dans une maison, la conversation était tombée sur notre commune espérance, qui est l’héritage du Christ, et vous aviez témoigné le désir de conférer avec moi en présence de quelques gens de bien. Je me réjouis beaucoup que vous ayez bien voulu me faire cette proposition ; et je ne puis en aucune manière manquer cette bonne occasion de chercher avec un aussi bienveillant esprit que le vôtre, autant que le Seigneur m’en donnera la force, la cause, l’origine, la raison de ce triste et déplorable déchirement dans l’Église à qui le Christ a dit : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix[1]. »

3. J’ai ouï dire que vous vous étiez plaint que ce même frère vous eût répondu je né sais quoi d’injurieux ; ne pensez point, je vous prie, qu’il ait voulu vous outrager, car je suis sûr que ce qu’il a dit ne partait pas d’un orgueil d’esprit ; je connais mon frère, et si, dans une discussion pour sa foi, il est échappé à l’ardeur de son amour pour l’Église quelque chose que votre gravité n’aurait pas voulu entendre, ne regardez pas cela comme une injure, mais

  1. Jean, XIV, 27