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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/145

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pour consoler les nôtres dans l’amertume de leur douleur ou pour apaiser leurs ressentiments, nous avons fait avec les chrétiens ce qui nous a paru alors nécessaire. Nous avons ensuite admis auprès de nous les païens eux-mêmes, cause de tout le mal, qui nous avaient fait demander à venir nous voir ; nous avons saisi cette occasion pour les avertir de ce qu’ils devraient faire, s’ils étaient sages, non-seulement pour éloigner les craintes actuelles, mais encore pour acquérir le salut éternel. Nous leur avons dit beaucoup de choses et ils nous en ont demandé beaucoup d’autres ; mais à Dieu ne plaise que nous soyons de tels serviteurs que nous aimions à entendre les supplications de ceux qui ne se prosternent pas devant Notre-Seigneur ! Votre clairvoyant esprit comprendra donc que le but de nos efforts, sans nous départir de la mansuétude et de la modération chrétienne, doit être ou de détourner les autres d’imiter ces méchants dans leur perversité, ou de les engager à les prendre pour modèles dans leur amendement. Les pertes sont supportées par les chrétiens ou réparées à l’aide des chrétiens. Pour nous, qui aspirons à gagner des âmes au prix même de notre sang, nous désirons réussir plus abondamment dans cette cité, et n’en être pas empêchés ailleurs par l’exemple qu’elle a donné. Fasse la miséricorde de Dieu que nous puissions nous réjouir de votre salut !

LETTRE XCII.

(Année 408.)

Italica, dont on lit ici le nom et qu’on retrouvera un peu plus tard, était une grande dame romaine en relation religieuse avec quelques-uns des génies chrétiens de cette époque. Devenue veuve, elle demanda de pieuses consolations à saint Augustin, qui lui répondit par la lettre suivante ; il parait qu’Italica avait beaucoup interrogé l’évêque d’Hippone sur la manière dont les élus verraient Dieu dans la vie future et qu’elle lui avait fait part de certains systèmes monstrueux qu’elle entendait à Rome. Saint Augustin l’instruit admirablement à cet égard.

AUGUSTIN ÉVÊQUE A L’ILLUSTRE ET EXCELLENTE DAME ITALICA, SON HONORABLE FILLE DANS LA CHARITÉ DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.


1. J’ai appris non-seulement par votre lettre, mais encore par celui qui me l’a apportée, que vous désiriez vivement en recevoir une de moi, pensant que vous en tirerez quelque consolation. Voyez donc ce que vous pouvez y prendre ; pour moi je n’ai dû ni la refuser ni la différer. Consolez-vous avec votre foi et votre espérance, avec la charité répandue dans les cœurs pieux par l’Esprit-Saint[1], dont nous avons reçu maintenant comme un gage pour nous exciter à désirer la plénitude tout entière. Car vous ne devez pas vous croire abandonnée, quand vous avez, par la foi, le Christ présent au fond de votre âme, ni vous affliger comme les païens qui n’ont pas d’espérance, quand, par suite d’une promesse d’un accomplissement certain, nous espérons que de cette vie d’où nous partirons et d’où sont partis quelques-uns des nôtres non perdus par nous, mais envoyés en avant, nous irons à une autre vie où ils nous seront d’autant plus chers qu’ils nous seront plus connus, et où nous les aimerons sans crainte d’aucune séparation.

2. Ici, quoique cet époux dont le départ vous a fait veuve, vous fût bien connu, il était pourtant plus connu de lui-même que de vous. Et d’où vient cela, puisque vous voyiez son visage et qu’il ne le voyait pas lui-même ? C’est que la connaissance la plus certaine de nous-mêmes est au dedans de nous, dans ces profondeurs où personne ne sait quelles sont les pensées de l’homme « si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui[2]. » Mais quand le Seigneur sera venu et qu’il aura éclairé ce qui est caché dans les ténèbres et découvert les plus secrètes pensées du cœur[3], alors notre prochain n’aura plus rien de voilé pour le prochain, il n’y aura plus rien à confier aux amis, à cacher aux étrangers, là où nul ne sera étranger. Cette lumière elle-même, par laquelle s’éclaireront toutes les choses aujourd’hui ensevelies dans les cœurs, que sera-t-elle et de quel éclat ? Quelle langue le dira ? Qui au moins pourra y atteindre par sa faible intelligence ? Assurément cette lumière est Dieu lui-même, parce que « Dieu est la lumière, et il n’y a pas de ténèbres en lui[4] ; » mais c’est la lumière des esprits purifiés et non pas des yeux du corps. L’âme alors sera donc capable de voir cette lumière, elle ne l’est pas encore maintenant.

3. Mais l’œil du corps qui maintenant ne peut pas voir cela, ne le pourra pas non plus alors. Car tout ce qui peut se voir avec les yeux du corps doit être en quelque lieu ; non pas tout entier partout, car les moindres parties

  1. Rom. V, 5.
  2. I Cor. II, 11.
  3. I Cor. IV, 5.
  4. I Jean, I, 5.