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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/160

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l’homme, et qu’il a annoncé devoir croître parmi l’ivraie jusqu’à la moisson. Or, le champ est le monde, la moisson est la fin des temps[1].

32. Hilaire reprenait donc ceux qui formaient l’ivraie et non pas le froment des dix provinces d’Asie ; il pouvait aussi s’adresser au bon grain qui faiblissait et se trouvait en péril, et la véhémence de ses discours ne les rendait que plus utiles. Les Écritures canoniques ont elles-mêmes cette manière habituelle de réprimander : on s’adresse en quelque sorte à tous pour être entendu de quelques-uns. Quand l’Apôtre dit aux Corinthiens : « Comment en est-il quelques-uns parmi vous qui disent que les morts ne ressusciteront pas ? » il montre bien que tous ne pensaient pas ainsi, mais que ceux qu’il dénonçait se trouvaient au milieu d’eux. Pour empêcher que les bons ne fussent séduits, il les avertit en ces termes : « Ne vous laissez point séduire ; les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs. Soyez sobres, justes, et ne péchez pas. Car il en est quelques-uns parmi vous qui ne connaissent pas Dieu : je vous le dis pour vous faire honte[2]. Mais à l’endroit où le même apôtre s’exprime ainsi : « Lorsqu’il y a parmi vous jalousie et dispute, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme[3] ? » il parle comme à tous, et vous voyez combien est grave ce qu’il dit. Nous lisons dans la même Épître : « Je rends, pour vous à mon Dieu des actions de grâces continuelles, à cause de la grâce de Dieu qui vous a été donnée en Jésus-Christ, et des richesses dont vous avez été comblés en lui, en toute parole et toute science ; le témoignage du Christ s’est trouvé ainsi confirmé en vous, de sorte que nulle grâce ne vous manque[4]. » Sans ce passage nous pourrions croire tous les Corinthiens charnels et de vie animale, ne comprenant pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu[5], disputeurs, jaloux, marchant selon l’homme. C’est pourquoi « le monde entier est établi dans le mal[6], » à cause de l’ivraie répandue par toute la terre, et le Christ « est la victime propitiatoire pour tous nos péchés, non-seulement pour tous nos péchés, mais pour ceux du monde entier[7], » à cause du bon grain qui est aussi répandu partout.

33. Si l’abondance des scandales refroidit la charité de plusieurs, c’est que plus le nom du

Christ est glorifié, plus se réunissent dans la communion de ses sacrements, ces méchants qui doivent persévérer dans leur perversité et qui toutefois n’en seront séparés, comme la paille du bon grain, que par le vanneur du dernier jour[8]. Ces méchants n’étouffent pas les bons grains, en très-petit nombre en comparaison de l’ivraie, mais nombreux par eux-mêmes ; ils n’étoufferont pas les élus de Dieu qui seront rassemblés, à la fin des temps, comme parle l’Évangile, « des quatre vents, depuis une extrémité du ciel jusqu’à l’autre[9]. » Car, c’est la voix de ces élus qui dit : « Sauvez-moi, Seigneur, parce qu’il n’y a plus de saint, parce que les vérités s’effacent du milieu des enfants des hommes[10] ; » et le Seigneur, au milieu de l’impiété qui abonde, leur a promis le salut pour prix de leur persévérance jusqu’à la fin[11]. Enfin, comme on le voit par la suite, ce n’est pas un seul homme, ce sont plusieurs qui parlent dans le même psaume : « C’est vous, Seigneur, qui nous garderez, qui nous préserverez de cette génération jusqu’à l’éternité[12]. » À cause de cette abondance d’iniquité prédite par le Seigneur, il a été aussi écrit, « Quand le Fils de l’homme viendra, croyez-vous qu’il trouve encore de la foi sur la terre[13] ? » Ce doute de Celui qui sait tout a représenté en lui notre propre doute : après que l’Église a été si souvent déçue de ses espérances avec plusieurs qui se sont trouvés tout autres qu’on ne croyait, elle est alors troublée dans ses enfants et ne veut plus croire aisément de personne quelque chose de bien. Cependant il n’est pas permis de douter que ceux en qui le Seigneur trouvera de la foi sur la terre, croîtront avec l’ivraie dans toute l’étendue du champ.

34. C’est donc l’Église elle-même qui nage dans le filet du Seigneur avec les mauvais poissons. Elle se sépare d’eux par le cœur et par les mœurs, afin de se montrer dans sa gloire à son époux, et n’ayant ni tache ni ride[14] ; mais elle attend que la séparation corporelle se fasse sur le rivage de la mer, c’est-à-dire à la fin des temps, ramenant qui elle peut, supportant ceux qu’elle ne peut ramener, sans que l’iniquité de ceux qu’elle ne corrige point lui fasse abandonner l’union avec les bons.

35. Pour combattre ces témoignages divins, si nombreux, si clairs, si indubitables, ne cherchez

  1. Matt. XIII, 24-39.
  2. I Cor. XV, 12, 33-34.
  3. Ibid. III 3.
  4. Ibid. I, 4-7.
  5. Ibid. II, 14.
  6. I Jean, V, 19.
  7. Ibid. II, 2.
  8. Matth. III, 12.
  9. Ibid. XXIV, 31.
  10. Ps. XI, 2.
  11. Matt. XXIV, 12-13.
  12. Ps. XI, 8.
  13. Luc, XVIII, 8.
  14. Eph. V, 27.