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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/166

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Toute chose terrestre n’est légitimement possédée que par le droit divin qui attribue tout aux justes, ou par le droit humain qui est au pouvoir des rois de la terre ; c’est donc à tort que vous appelleriez votre bien ce que vous ne possédez pas comme justes, ou ce que vous feraient perdre les lois des puissances temporelles, et c’est en vainque vous diriez que vous l’avez laborieusement amassé, puisqu’il est écrit : « Les justes recueilleront le fruit du travail des impies[1]. » Mais cependant nous désavouons quiconque prend occasion de ces lois, dirigées par les rois serviteurs du Christ contre un schisme impie, pour convoiter ce qui vous appartient. Nous désavouons quiconque, dans un sentiment de cupidité et non dans un sentiment de justice, retient le bien des pauvres, les basiliques qui vous servaient de lieux de réunion et que vous aviez sous le nom d’églises, quoique rigoureusement ces basiliques ne doivent appartenir qu’à la véritable Église du Christ. Nous désavouons quiconque reçoit ceux que vous chassez du milieu de vous pour cause d’infamie ou pour crime, comme on reçoit ceux qui ont vécu parmi vous sans reproche, sauf l’erreur qui nous sépare. Mais ce sont ici des griefs que vous ne prouvez pas aisément ; et quand vous les prouveriez, il est des coupables que nous ne pouvons ni corriger ni punir ; et que nous tolérons : nous ne quittons pas, à cause de la paille, l’aire du Seigneur, nous ne rompons pas les filets à cause des mauvais poissons ; nous n’abandonnons pas le troupeau du Seigneur à cause des boucs qui ne seront mis à part que le dernier jour ; nous ne nous éloignons pas de la maison du Seigneur à cause des vases qui sont devenus des vases d’ignominie.

51. Pour vous, mon frère, je pense que si vous ne vous préoccupez pas de la vaine gloire des hommes et si vous méprisez les reproches des insensés qui vous disent : Pourquoi détruisez-vous ce que vous édifiiez auparavant ? vous reviendrez sans aucun doute à l’Église que, je le comprends, vous savez être la véritable. Je ne chercherai pas au loin des preuves de votre sentiment à cet égard ; au début de la lettre à laquelle je réponds, vous dites ceci : « Je vous ai connu encore bien éloigné du christianisme, appliqué à l’étude des lettres et montrant un très-grand goût pour la paix et l’honnêteté ; depuis votre conversion à la foi chrétienne, conversion qui m’a été rapportée par le témoignage de plusieurs, vous donnez votre temps à la controverse. » Assurément si c’est vous qui m’avez adressé cette lettre, ces paroles sont de vous. En avouant que je suis converti à la foi chrétienne, vous prouvez qu’elle existe en dehors des rogatistes et des donatistes, puisque je ne me suis converti ni au parti de Donat ni au parti de Rogat ; cette foi chrétienne devenue la mienne est donc, comme nous le répétons, celle qui se répand au milieu de toutes les nations bénies dans la race d’Abraham, selon le témoignage de Dieu[2]. Pourquoi hésitez-vous à déclarer ce que vous sentez, si ce n’est parce que vous avez honte de ne pas avoir toujours eu la même pensée et d’en avoir défendu une autre ? Vous avez honte de vous corriger et vous n’en avez pas de demeurer dans l’erreur, ce qui devrait plutôt vous en faire éprouver !

52. L’Écriture a dit : « Il y a une honte qui produit le péché, il y a une honte qui produit la grâce et la gloire[3]. » La honte produit le péché lorsqu’on n’ose pas changer de mauvais sentiments de peur de paraître inconstant ou de laisser voir qu’on juge soi-même s’être longtemps trompé : ceux qui en sont là descendent en enfer tout vivants[4], c’est-à-dire avec le propre sentiment de leur perdition ; Dathan, Abiron et Coré, engloutis vivants dans la terre, en ont été, il y a des siècles, la prophétique figure. La honte produit la grâce et la gloire lorsqu’on rougit de sa propre iniquité et qu’on devient meilleur par le repentir : vaincu malheureusement par cette autre honte, voilà ce que vous n’avez pas le courage de faire ; vous craignez que des hommes qui ne savent ce qu’ils disent, ne vous opposent cette sentence de l’Apôtre : « Si j’édifie ce que j’ai détruit auparavant, je me constitue moi-même prévaricateur[5]. » Si de telles paroles pouvaient s’appliquer à ceux qui, ramenés à la vérité, l’ont annoncée après l’avoir criminellement combattue, on les eût tout d’abord appliquées à Paul lui-même, en qui les Églises du Christ glorifiaient Dieu, quand elles l’entendaient prêcher la foi qu’il ravageait auparavant[6].

53. Ne croyez pas qu’on puisse, sans passer par la pénitence, revenir de l’erreur à la vérité, ni d’un péché grand ou petit à la régularité.

  1. Prov. XIII, 22
  2. Gen. XXII, 18.
  3. Eccles. IV, 25
  4. Ps. LIV, 16
  5. Galat. II, 18
  6. Ibid. I, 23