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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/181

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leur force ; ils prétendent que ces lois n’ont plus de valeur, et c’est pour eux une raison de ne pas nous épargner. Mais vous nous aiderez beaucoup dans nos travaux et nos dangers, et vous les empêcherez d’être stériles, si vous n’appliquez pas à la répression de cette vaine et orgueilleuse secte les lois impériales, de façon à lui laisser croire qu’elle souffre pour la vérité et la justice. Il faudrait plutôt, lorsqu’on vous le demande, permettre que ceux qui sont traduits devant Votre Excellence ou devant des juges inférieurs, pussent s’instruire et se convaincre par la lecture des pièces où la vérité se trouve en pleine évidence, afin que ceux qui sont détenus d’après vos ordres changeassent, s’il est possible, leur opiniâtreté en bonne volonté et fissent à d’autres ces salutaires communications. Quoi qu’il s’agisse de quitter un grand mal pour aller à un grand bien, ce serait une entreprise plus laborieuse que profitable de tant contraindre les hommes et de ne pas les instruire. 

LETTRE CI.


(Au commencement de l’année 409.)

Mémorius était un évêque d’Italie ; quel siège occupait-il ? Nous n’en savons rien. Mémorius avait été marié avant de recevoir les saints ordres ; il fut le père de Julien, ce chef de l’hérésie pélagienne, contre lequel saint Augustin lutta si vaillamment et si victorieusement jusqu’à la dernière heure. L’évêque d’Hippone, à qui il avait demandé son ouvrage sur la musique, lui répond en des termes qui témoignent une grande considération. Ce qu’il dit des anciens, à propos des études libérales, ne doit pas être, regardé comme un mépris de leur génie ; il ne condamne que leur amas d’erreurs. Bossuet, dans son beau traité de la Concupiscence, n’a pas tenu un autre langage[1]. On remarquera le charmant et curieux passage de cette lettre de saint Augustin sur les six livres de la musique, et sa manière de comprendre l’harmonie.

AUGUSTIN AU BIENHEUREUX, CHER, VÉNÉRABLE ET TRÈS-DÉSIRÉ SEIGNEUR MÉMORIUS, SON FRÈRE ET COLLÈGUE DANS L’ÉPISCOPAT, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je ne devrais pas vous écrire sans vous envoyer les livres que vous m’avez demandés par le droit violent d’un saint amour : mon obéissance serait ainsi du moins une réponse à vos lettres où vous me comblez de vos bontés jusqu’à m’en accabler : je succombe sous leur poids, mais comme je suis aimé, je me relève. Ce n’est pas un homme ordinaire qui m’aime, me relève et me distingue, c’est un

prêtre du Seigneur que je sais être agréable à Dieu ; et quand vous élevez vers le Seigneur votre âme si bonne, vous m’y élevez en même temps, puisque vous me portez en vous-même. Je devais donc vous envoyer maintenant les livres que j’avais promis de corriger ; si je ne les envoie point, c’est que cette correction n’est pas faite : ne croyez point que je n’aie pas voulu, je n’ai pas pu ; des soins multipliés et plus graves m’en ont empêché. Je vous écris aujourd’hui parce qu’il y aurait eu de ma part trop d’ingratitude et de dureté à souffrir que notre saint frère et collègue. Possidius, en qui vous retrouverez un autre nous-même, manquât l’occasion de vous connaître, vous qui nous aimez tant, ou fît votre connaissance sans une lettre de nous ; c’est par nous qu’il a été nourri, autant que l’ont permis nos pressantes affaires, non pas de ces sciences que les esclaves des passions humaines appellent libérales, mais du pain du Seigneur.

2. Qu’y a-t-il en effet à dire aux injustes et aux impies qui se croient libéralement instruits, si ce n’est ce que nous lisons dans les saintes lettres vraiment libérales : « Si le Fils vous a délivrés, alors véritablement vous serez libres ? » Car c’est lui qui nous fait connaître ce que peuvent avoir de libéral les études mêmes qui sont ainsi nommées par les hommes non appelés à cette liberté évangélique. Ces études n’ont de rapport avec la liberté que ce qu’elles ont de rapport avec la vérité ; voilà pourquoi le Fils a dit : « Et la vérité vous délivrera[2]. » Ainsi donc ces innombrables fables impies, dont les poésies sont pleines, n’ont rien de commun avec notre liberté ; nous en dirons autant des mensonges emphatiques et ornés des orateurs, des sophismes verbeux des philosophes soit de ceux qui ont mal connu Dieu, soit de ceux qui l’avant connu ne l’ont pas glorifié comme Dieu ou ne lui ont pas rendu grâces, mais se sont évanouis dans leurs propres pensées ; et leur cœur s’est endurci ; et, se disant sages, ils sont devenus insensés : ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en une image de l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des serpents ; soit enfin de ceux d’entre eux qui n’étant pas adonnés au culte des idoles ou qui l’étant peu, ont adoré cependant et ont servi la créature plutôt que le Créateur[3]. À Dieu ne plaise que nous appelions sciences libérales les vanités et les folies menteuses, les

  1. Voir ce que nous avons dit à ce sujet dans nos Lettres sur Bossuet, lettre XIe.
  2. Jean, VIII, 32, 36.
  3. Rom. I, 21-25.