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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/197

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et salutaire ; car les méchants ont de quoi soutenir la santé de leur corps, ont de quoi vivre, ont de quoi mal vivre. Que la vie et la santé demeurent sauves, afin que le repentir soit possible ; voilà ce que nous souhaitons, ce que nous demandons avec instance, autant qu’il est en nous, et même par de laborieux efforts. Mais quant aux ressources pour mal vivre, si Dieu veut les retrancher comme nuisibles, il punira très-miséricordieusement. » Si vous aviez eu ces paroles présentes à l’esprit quand vous avez bien voulu me répondre, vous auriez jugé qu’il était plus odieux qu’obligeant de me demander de ne pas livrer à la mort ou à la torture les gens pour lesquels vous intercédez ; car j’ai dit qu’il ne fallait pas toucher à leur corps. Vous n’auriez pas craint non plus que je voulusse les réduire a l’indigence et à la charité d’autrui, puisque j’ai dit qu’il fallait leur laisser de quoi vivre. Mais ils ont de quoi mal vivre, c’est-à-dire, pour ne pas parler d’autre chose, ils ont les moyens de fabriquer des statues de faux dieux en argent ; c’est afin de conserver ces faux dieux, de les adorer, de continuer à leur égard un culte sacrilège, qu’ils mettent le feu à l’Église de Dieu, qu’ils livrent à la cupidité de la multitude la subsistance des pauvres, amis de Dieu, et qu’ils répandent le sang ; et vous qui prenez souci de cette ville, pourquoi craignez-vous de retrancher ce qui serf d’instrument à ces mauvais desseins, et pourquoi voulez-vous entretenir et accroître par une fâcheuse impunité l’audace de nos ennemis ? Apprenez-nous, dites-nous clairement quel mal il y aurait à punir les coupables de cette façon et dans cette mesure. Faites bien attention à ce que nous disons, de peur que, sous le semblant d’une prière, vous ne dénaturiez nos paroles pour les changer contre nous en insinuations accusatrices.

6. Que vos concitoyens se recommandent au respect par la pureté de leurs mœurs et non point par le superflu de leurs biens : nous ne voulons pas que la punition les amène à la charrue de Quintius ni au foyer de Fabricius. La pauvreté ne rendit pas méprisables ces chefs de la république romaine, mais elle ne les rendit que plus chers à leurs concitoyens, et plus dignes de gouverner la république. Nous ne souhaitons même pas, nous ne prétendons pas qu’il ne reste aux riches de votre cité que dix livres d’argent comme à ce Ruffin deux fois consul ; et le censeur d’alors, dans sa louable sévérité, jugea qu’il y avait là encore quelque chose à retrancher. Les mœurs d’un siècle corrompu nous obligent à traiter si doucement aujourd’hui les âmes amollies, que la mansuétude chrétienne regarderait comme excessif ce qui parut juste aux censeurs de l’ancienne Rome. Et voyez la différence : à Rome il s’agissait de punir la possession de dix livres d’argent comme une faute ; il s’agirait ici, à cause des torts les plus graves, de réduire les coupables à la possession de dix livres d’argent ce qui fut considéré alors comme un crime, nous le voulons aujourd’hui comme le châtiment d’un crime. Mais on peut et on doit adopter un terme moyen qui, d’un côté, n’aille pas à cette sévérité, et, de l’autre, empêche l’impunité de se montrer trop triomphante et trop audacieuse, et empêche surtout de coupables et malheureuses imitations pour lesquelles seraient réservées des peines terribles cachées. Accordez-nous au moins que ceux-là craignent pour leur superflu qui incendient et dévastent notre nécessaire. Qu’il nous soit permis de rendre service à nos ennemis et de faire en sorte qu’ils n’accomplissent pas ce qui leur est nuisible, en leur donnant des craintes pour des biens dont la perte ne l’est pas. Il n’y a ici que l’utilité d’un bon conseil et nullement la pensée de venger des crimes : par là on ne condamne pas à des supplices, on en préserve.

7. Lorsque, même au prix de quelque douleur, on ne laisse pas un homme inconsidéré s’accoutumer à des méfaits qu’il faudra expier par des peines terribles, on est semblable à celui qui saisirait violemment un enfant aux cheveux pour l’empêcher de jouer avec des serpents ; cette manière de l’aimer pourrait sembler rude, mais aucun de ses membres ne serait atteint, et le péril auquel on l’aurait arraché en l’effrayant était un péril de mort. Nous ne sommes pas bienfaisants parce que nous faisons ce qu’on nous demande, mais parce que nous faisons quelque chose de profitable à celui qui le sollicite. Souvent ce n’est pas en donnant, mais en refusant que nous rendons service. De là ce proverbe : « Ne donnez pas une épée à un enfant, » « pas même à votre fils unique, » dit Cicéron, car plus nous aimons quelqu’un, moins nous devons lui confier ce qui peut le mettre en grand péril : et si je ne me trompe, lorsque Cicéron disait ceci, il traitait des richesses. On peut donc utilement ôter les choses