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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/20

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atteindre eux-mêmes. Quand les arguments lui manquent pour prouver qu’il faut jeûner le samedi, il se tourne vivement contre le luxe des festins et la honteuse ivrognerie des banquets, comme si ne pas jeûner c’était s’enivrer. Si cela est, que sert-il aux Romains de jeûner le samedi ? Les jours où ils ne jeûneront pas, il faudra, selon l’auteur de la dissertation, ne voir en eux que des ivrognes et des adorateurs de leur ventre. Or, si autre chose est d’appesantir son cœur dans la crapule et l’ivrognerie, ce qui est toujours un mal, autre chose est de se relâcher du jeûne en restant modéré et tempérant, ce qu’un chrétien fait sans reproche le dimanche. Que l’auteur de la dissertation ne confonde pas les repas des saints avec la voracité et l’ivrognerie des adorateurs de leur ventre, de peur qu’il ne mette les Romains eux-mêmes, quand ils ne jeûnent pas, au rang de ces derniers ; et alors il cherchera à savoir ; non pas s’il est permis de s’enivrer le samedi, ce qui ne l’est pas davantage le dimanche, mais s’il faut se dispenser de jeûner le samedi aussi bien que le dimanche.

4. Plût à Dieu qu’en cherchant ou en affirmant ainsi, il ne blasphémât pas ouvertement l’Église répandue sur toute la terre, à la seule exception des Romains et d’un petit nombre d’occidentaux ##Rem Qui pourrait supporter qu’au milieu de tous les peuples chrétiens d’Orient et de la plupart de ceux d’Occident, tant de serviteurs et de servantes du Christ, mangeant sobrement et modérément le samedi, soient rangés par lui au nombre des gens plongés dans la chair et ne pouvant plaire à Dieu, et dont il a été dit : « Que les méchants se retirent de moi, je ne veux point connaître leur voie ? » Est-il tolérable qu’il dise d’eux « que ce sont des adorateurs de leur ventre, préférant la Synagogue à l’Église ; que ce sont les fils de la servante ; qu’ils reconnaissent pour loi, non point la justice, mais la volupté, ne prenant conseil que de leur ventre, ne se soumettant pas à la règle ; qu’ils ne sont que chair et n’ont de goût que pour la mort, » et autres choses du même genre ? Si cet homme parlait ainsi d’un seul serviteur de Dieu, qui oserait l’écouter et ne pas le fuir ? Mais c’est l’Église dans le monde entier qu’il poursuit de ses outrages et de ses malédictions, c’est l’Église qui croît et fructifie, et qui presque partout ne jeûne pas le samedi : oh ! quel qu’il soit, je l’avertis de se modérer. Vous avez voulu que j’ignorasse son nom : c’était vouloir m’empêcher de le juger.

5. « Le Fils de l’homme, dit-il, est le maître du sabbat[1] ; il vaut mieux, ce jour-là, faire « le bien que le mal. » Mais si nous faisons mal quand nous dînons, nous ne vivons jamais bien le dimanche. Obligé d’avouer que les apôtres ont mangé le jour du sabbat, il dit que ce n’était point alors le temps de jeûner et cite ces paroles du Seigneur : « Des jours viendront où l’époux sera ôté à ses enfants, et alors les fils de l’époux jeûneront[2], » parce qu’il y a un temps de joie et un temps de deuil a. Il aurait dû d’abord remarquer que le Seigneur, en cet endroit, parle du jeûne en général et non du jeûne du samedi. Ensuite, puisqu’il veut entendre le deuil[3], par le jeûne et la joie par la nourriture, pourquoi ne songe-t-il pas que, quelle que soit la signification du repos du septième jour[4], Dieu n’a point voulu désigner par là le deuil mais la joie ? A moins qu’il ne dise que la signification de ce repos de Dieu et de cette sanctification du sabbat a été pour les juifs une joie, pour les chrétiens un deuil. Et cependant lorsque Dieu a sanctifié le septième jour en se reposant de toutes ses œuvres, il n’a rien marqué sur le jeûne ni sur le dîner du samedi ; et quand, plus tard il a donné au peuple juif ses prescriptions pour l’observation du même jour, il n’a pas parlé non plus de ce qu’il fallait manger ou ne pas manger. Il commande seulement à l’homme de s’abstenir de ses œuvres, ses œuvres serviles. Le peuple juif, recevant ce repos comme une ombre des choses futures, l’observa de la même manière que nous voyons les juifs l’observer aujourd’hui. Il ne faut pas croire que les juifs charnels n’entendissent pas ce précepte aussi bien que l’entendent les chrétiens ; nous ne le comprenons pas mieux que les prophètes qui, dans le temps où il était obligatoire, gardèrent ce repos comme les juifs croient qu’on doit le garder encore. Voilà pourquoi Dieu ordonna de lapider l’homme qui avait ramassé du bois le jour du sabbat[5] ; nous ne lisons nulle part qu’un homme ait été lapidé ou jugé digne de quelque supplice pour avoir jeûné ou non le jour du sabbat. Cependant lequel des deux convient au repos ou au travail, c’est à votre auteur lui-même à le voir, lui qui a réservé la joie à ceux qui mangent, le deuil à ceux qui jeûnent, et qui donne le même

  1. Mat. XII, 8-12
  2. Ibid. IX, 15
  3. Ecclés. III, 4
  4. Gen. II, 2
  5. Nomb. XV, 35