Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

toutes qu’une seule et c’est d’elles que la même Écriture dit ailleurs : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité. » Pour les considérer attentivement, il faudrait un discours étendu, et l’esprit y trouverait bien des douceurs : je pourrais le faire une autre fois, s’il en était besoin.

13. Je crois en avoir assez dit aujourd’hui pour répondre à votre Excellence ; et puisque le Christ a dit : « Je suis la voie[1], » c’est en lui qu’il faut chercher miséricorde et vérité, de peur que nous n’errions en cherchant ailleurs, et que nous ne suivions la voie qui désire au lieu de la voie qui mène. Mais si nous suivions la voie où l’on tient tous les péchés pour égaux, comme nous serions rejetés bien loin de la patrie de la vérité et du bonheur ! Quoi de plus absurde et de plus insensé que de prétendre que celui qui a ri avec quelque excès et celui qui, d’une main sauvage, a livré sa patrie aux flammes, aient péché de la même manière ? Cette opinion de certains philosophes n’est pas une de ces voies différentes par où l’on arrive aux célestes demeures, mais c’est une voie détestable qui mène à la plus pernicieuse erreur ; vous ne l’avez pas alléguée comme étant conforme à votre propre sentiment, mais elle a été pour vous comme un argument en faveur de vos concitoyens : vous auriez ainsi voulu que nous eussions pardonné à ceux qui ont incendié l’église de Calame, comme nous l’aurions fait à des gens qui se seraient laissés aller à quelques paroles contre nous.

14. Mais voyez comment vous arrangez tout cela. « Et si, dites-vous, selon l’opinion de quelques philosophes, toutes les fautes sont égales, on doit leur accorder un pardon commun. » Cherchant ensuite à prouver l’égalité de tous les péchés, vous ajoutez et vous dites : « Un homme s’emporte en parlant, il a péché ; il aura dit des injures ou commis des crimes, il a péché de la même manière. » Ce n’est pas là prouver une opinion, c’est exposer tout simplement un sentiment détestable. Vous dites : « Il a péché de la même manière ;» mais aussitôt on vous répondra qu’il a péché autrement. Vous exigez peut-être que je le prouve, mais avez-vous prouvé qu’il y avait eu égalité dans les péchés ? Faut-il écouter encore ce que vous ajoutez : « Quelqu’un a dérobé le bien d’autrui, cela compte parmi les fautes ? » Et ici vous avez senti vous-même quelque honte : vous n’avez pas osé dire qu’on a péché de la même manière, mais, dites-vous, « cela compte parmi les fautes. » Il n’est pas question ici de savoir si c’est une faute ajoutée aux autres, mais s’il y a eu égalité. Et si les deux sont égales parce que toutes les deux sont des fautes, les rats et les éléphants sont égaux parce que les uns et les autres sont des animaux ; les mouches et les aigles aussi parce que les uns et les autres volent.

15. Vous continuez et vous dites : « Il a violé des lieux sacrés et des lieux profanes, ce n’est pas une raison pour lui refuser le pardon. » Cette profanation des lieux sacrés vous conduit au crime de vos concitoyens ; mais vous-même ne la mettez pas sur la même ligne qu’une parole de colère ; vous demandez seulement pour eux le pardon qu’on a raison de demander à des chrétiens, à cause de l’abondance de leur compassion, et non pas à cause de la gravité des péchés. Je vous ai cité, plus haut, ces paroles de nos saints livres « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et véritéPs. XXIV, 10.</ref>. » C’est pourquoi ils obtiendront miséricorde, s’ils ne haïssent pas la vérité. On n’assimilera pas leurs fautes à un simple emportement de discours ; mais ce pardon est dû, de droit chrétien, à tout homme qui se repent, quelles que soient l’énormité et l’impiété de ses crimes. Pour vous, homme digne de louanges, n’allez pas, je vous prie, enseigner ces paradoxes des stoïciens à votre Fils Paradoxe, que nous désirons voir grandir pour vous dans la vraie piété et le vrai bonheur. Quoi de plus détestable pour ce jeune homme et de plus dangereux pour vous-même, que s’il mettait sur la même ligne une injure faite à un étranger, et, je ne dis pas un parricide, mais une simple injure adressée à un père !

16. Vous faites donc bien, dans l’intérêt de vos concitoyens, de nous rappeler la miséricorde des chrétiens et non pas la dureté des stoïciens, laquelle, au lieu de servir votre cause, lui nuirait beaucoup. Car cette miséricorde sans laquelle ni vos regrets ni vos prières ne sauraient nous fléchir, les stoïciens la tiennent pour un défaut, ils la chassent tout à fait du cœur d’un sage, et veulent qu’il soit de fer et inflexible. Mieux vaudrait pour vous vous souvenir de votre Cicéron qui, adressant des louanges à César, lui disait : « La plus admirable

  1. Jean, XIV, 6.