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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/207

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cordages et affermissez les pieux ; étendez-vous de plus en plus à droite et à gauche. Votre race aura les nations pour héritage, et vous habiterez les villes qui étaient désertes. Ne craignez rien, vous l’emporterez ; ne rougissez pas d’avoir été détestée ; vous oublierez à jamais votre confusion, vous ne vous souviendrez plus de votre veuvage ; c’est moi qui suis le Seigneur, et c’est moi qui vous ai créée ; le Seigneur est mon nom ; celui qui vous délivrera, c’est le Dieu d’Israël, qui sera appelé le Dieu de toute la terre[1]. »

16. Nous ne vous comprenons pas quand vous nous parlez de ces traditeurs que vous n’avez jamais pu ni convaincre ni montrer. Je ne dis point que ce soient plutôt vos pères qui aient été reconnus et convaincus d’un tel crime ; qu’avons-nous à nous occuper des fardeaux d’autrui ? Nous n’y pensons que pour ramener au bien, tant que nous pouvons, par les moyens qu’inspirent l’esprit de douceur et les empressements de la charité ; quant à ceux que nous ne pouvons corriger, nous participons aux mêmes sacrements, lorsque le salut des autres l’exige, sans participer à leurs péchés, ce qui ne peut se faire que par le consentement et l’appui qu’on leur donne. Dans ce monde, où l’Église catholique est répandue parmi toutes les nations, et que le Seigneur appelle son champ, nous les supportons comme l’ivraie mêlée au froment, comme la paille au bon grain sur l’aire de l’unité catholique, ou comme les mauvais poissons enfermés avec les bons dans les filets de la parole et du sacrement[2], jusqu’au temps où le vanneur fera son œuvre[3], où les filets seront tirés sur le rivage[4] ; nous les supportons de peur d’arracher avec eux le froment, de peur qu’en séparant les bons grains avant l’heure nous ne les livrions aux oiseaux du ciel, au lieu de les serrer dans le grenier, après les avoir bien nettoyés ; nous les supportons de peur que le schisme ne déchire les filets, et qu’en prenant garde aux mauvais poissons nous ne tombions dans l’abîme d’une funeste liberté. Le Seigneur, par toutes ces comparaisons, et d’autres encore, a enseigné à ses serviteurs une patiente résignation, de peur que les bons, se croyant souillés en se mêlant aux méchants, ne perdent les petits, ou que petits eux-mêmes ils périssent par ces séparations humaines et téméraires. Le Maître céleste nous a mis en garde contre ces dangers, au point de rassurer le peuple, même à l’égard des mauvais pasteurs : il ne fallait pas qu’à cause d’eux on abandonnât cette chaire de la vérité où les mauvais pasteurs sont contraints d’enseigner le bien. Car ce qu’ils disent n’est pas d’eux, mais de Dieu, qui a établi la doctrine de la vérité dans la chaire de l’unité. C’est pourquoi ce Maître véridique, qui est la vérité elle-même, s’est ainsi exprimé au sujet des pasteurs faisant le mal qui vient d’eux et disant le bien qui vient de Dieu : « Faites ce qu’ils disent, ne faites pas ce qu’ils font ; car ils disent et ne font pas[5]. » Il ne dirait pas : « Ne faites pas ce qu’ils font, » si leurs œuvres n’étaient pas ouvertement mauvaises.

17. Donc ne nous perdons pas dans le mal de la division, à cause de ceux qui sont mauvais, quoique, si vous le voulez, nous puissions vous prouver que vos pères n’ont pas exécré les mauvais, mais qu’ils ont accusé les innocents. Pourtant, quels qu’ils aient été, que tous portent leurs fardeaux. Voilà les Écritures qui nous sont communes, voilà où nous avons connu le Christ, voilà où nous avons connu l’Église. Si vous avez le même Christ, pourquoi n’avez-vous pas la même Église ? Si vous croyez en Jésus-Christ que vous n’avez pas vu, mais qui vous apparaît dans la vérité des Écritures, pourquoi ne croyez-vous pas à l’Église que vous voyez et qui vous apparaît dans ces livres saints ? En vous disant ces choses, en vous excitant à ce bien de la paix, de l’unité et de la charité, nous sommes devenus vos ennemis ; vous nous faites savoir que vous nous tuerez, nous qui vous disons la vérité, et qui, autant qu’il sera en notre pouvoir, ne vous laisserons pas périr dans l’erreur. Que Dieu nous venge de vous en faisant mourir en vous votre erreur et en vous associant aux joies que nous fait goûter la vérité ! Ainsi soit-il.

  1. Isaïe, LIII, 7 ; LIV, 1-5.
  2. Matth. XIII, 24-43.
  3. Ibid. III, 12.
  4. Ibid. XIII, 47-50.
  5. Matth. XXIII, 3.