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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/212

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les trois jeunes gens en gémissent aussi[1] ; le premier le témoigne dans sa prière, les autres dans la fournaise : ils ne se séparèrent pas extérieurement pour cela de l’unité du peuple dont ils déploraient les péchés. Et les prophètes, que n’ont-ils pas reproché au peuple au milieu de qui ils vivaient ? Néanmoins, ils ne s’en sont pas séparés extérieurement et n’en ont pas cherché un autre. Les apôtres eux-mêmes ont supporté Judas devenu comme un démon au milieu d’eux : ils l’ont supporté, et sans souillure, jusqu’au moment où il s’est pendu ; et c’est à cause de Judas ainsi mêlé aux apôtres que le Seigneur leur disait : « Vous êtes purs, mais vous ne l’êtes pas tous[2]. » L’impureté de Judas n’a donc pas été pour eux comme le levain qui corrompt la masse. On ne peut pas dire non plus avec vérité que sa méchanceté ne leur était pas connue ; peut-être ignoraient-ils qu’il dût livrer le Seigneur ; mais ils savaient et ils ont écrit que Judas était un larron, et qu’il dérobait tout ce qu’on déposait dans les cassettes du Sauveur[3]. A-t-on jamais songé à leur appliquer cette parole du Psalmiste : « Vous voyiez le voleur et vous vous entendiez avec lui[4] ? » On s’associe aux actions des méchants en consentant à ce qu’ils font, et non point en participant aux mêmes sacrements. Combien l’apôtre Paul s’est plaint des faux frères[5] ! Mêlé extérieurement avec eux, il en demeurait séparé parla pureté du cœur. Car il se réjouissait que le Christ fût prêché, même par des hommes dont il connaissait les sentiments d’envie[6], et l’envie est le vice du diable.

9. Enfin l’évêque Cyprien, plus voisin de nos temps, et quand déjà l’Église était au loin répandue, Cyprien, sur lequel vous vous appuyez pour accréditer la réitération du baptême, combien n’a-t-il pas aimé l’unité ! La preuve en est dans ce concile ou dans ces écrits, si toutefois ils sont véritablement de lui, et ne lui ont pas été faussement attribués, ainsi que plusieurs le croient. On y voit comment, dans un discours publie, il recommandait de supporter ceux dont il combattait l’opinion, et comment il ne négligeait rien pour le maintien de la paix : il remarquait principalement que si dans les dissentiments, dans les erreurs mêmes auxquelles la faiblesse humaine peut se laisser aller, on ne brise pas les liens de l’union fraternelle, « la charité couvre la multitude des péchés[7]. » Cyprien a été si fidèle à la charité, il l’a tant année, que s’il a eu sur le sacrement du baptême une opinion qui n’ait pas été conforme à la vérité, Dieu lui aura révélé cette vérité elle-même, selon cette promesse faite par l’Apôtre aux frères qui marchent dans la charité : « Nous qui voulons donc être parfaits, soyons dans ce sentiment ; et si vous en avez quelque autre, Dieu vous éclairera aussi sur celui-là. Cependant, pour les choses que nous savons, tenons-nous-y[8]. » Ajoutez que Cyprien a été une branche féconde, et que s’il y a eu dans cette branche quelque chose à retrancher, le fer glorieux du martyre y a passé non point parce qu’il est mort pour le nom du. Christ, mais parce qu’il est mort pour le nom du Christ dans le sein de l’unité. Car il a écrit lui-même et il affirme résolument que ceux qui meurent hors de l’unité, tors même qu’ils périssent pour le nom du Christ, ne sauraient être couronnés (3) : tant l’amour ou la violation de l’unité sont puissants pour effacer nos fautes ou nous retenir sous leur poids !

10. Aussi lorsque ce même Cyprien déplora la chute de beaucoup de chrétiens au milieu de la persécution impie des gentils et des malheurs de l’Église, attribuant : ces défaillances à leurs mauvaises mœurs, il se plaignit aussi des mœurs de ses collègues et ne s’en plaignit point en silence ; ruais il dit tout haut que telle était la cupidité de ces indignes pasteurs, qu’ils voulaient avoir de l’argent en abondance, acquérir des terres par des moyens frauduleux, accroître leurs revenus par l’usure, et cela pendant que leurs frères avaient faim au sein même de l’Église[9] ! Cyprien, je pense, ne fut pas souillé par la cupidité, les fraudes et l’usure de ces pasteurs ; il n’eut pas besoin de se séparer d’eux extérieurement, il ne s’en sépara que par la différence de sa vie. Avec eux il toucha l’autel, mais il ne toucha point leur vie impure en les frappant ainsi de son blâme. Car on ne se rapproche de ces désordres que s’ils plaisent ; du moment qu’ils déplaisent, on en demeure éloigné. C’est ainsi que cet excellent évêque n’a manqué ni au soin religieux de reprendre les fautes, ni au soin prudent de conserver le liera de l’unité. Dans une lettre adressée au prêtre Maxime, il établit clairement et manifestement,

  1. Ibid. III, 38-31.
  2. Jean, XIII, 10.
  3. Jean, XII, 6.
  4. Ps. XLIX, 18.
  5. II Cor. XI, 26.
  6. Philip. I, 15-18.— 8. Le concile de Carthage tenu en 256.
  7. I Pierre, IV, 8.
  8. Philip. III, 15, 16. 3. Sur l’unité de l’Église.
  9. Sermo de Lapsis.