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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/229

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si tant est qu’il s’y trouve du sens :

« Savoir n’est rien pour vous si un autre ne sait pas que vous savez (1). »

Vous avez lu bien des dialogues, comme je l’ai dit plus haut, et appliqué votre esprit à des entretiens de bien des philosophes ; dites-moi, lequel d’entre eux s’est-il proposé comme fin de ses actions l’opinion du vulgaire ou même les discours des hommes bons et sages ? Mais vous, et ce qui est plus honteux, au moment de partir, vous pensez avoir grandement profité en Afrique lorsque vous assurez que le seul motif pour lequel vous vous permettez d’être à charge à des évêques tant occupés et de soins si différents en venant leur demander de vous expliquer Cicéron, c’est que vous craignez les hommes portés au blâme, et que vous ne voulez pas passer pour ignorant et borné, s’il arrive qu’on vous interroge et que vous ne répondiez pas ! O que cela est digne des veilles laborieuses des évêques !

4. Vous me paraissez ne chercher qu’une chose dans les travaux de vos jours et de vos nuits, c’est la louange des hommes pour vos études et votre savoir. Une telle disposition m’a toujours semblé un danger quand on doit aspirer aux biens réels et conformes à la raison, mais ce danger me frappe surtout par votre propre exemple. C’est le pernicieux désir d’obtenir les louanges ou d’éviter le blâme des hommes, c’est ce motif seul que vous mettez en avant pour me déterminer à faire ce que vous me demandez ; voilà le mauvais sentiment qui vous pousse à vous instruire, et vous osez croire que de pareilles raisons peuvent avoir prise sur moi ! Plût à Dieu que je pusse faire en sorte que vous ne fussiez plus touché de ce bien stérile et trompeur de la louange humaine, en vous montrant que vos paroles m’excitent, non à vous accorder ce que vous demandez, d’après votre lettre, mais à vous corriger ! « Les hommes, dites-vous, sont enclins à blâmer. » Quoi ensuite ? « Si on vient à être interrogé et qu’on ne réponde pas, on passera pour ignorant et borné. » Eh bien ! je vous interroge, non pas pour vous demander sur Cicéron quelque chose dont le sens peut être difficile à comprendre, mais pour vous demander quelque chose sur votre propre lettre et sur le sens de vos paroles. Pourquoi n’avez-vous 1. Satire I. pas dit : Celui qui ne répond pas sera reconnu ignorant et imbécile, au lieu de dire : Passera pour ignorant et borné? Vous comprenez donc qu’en ne répondant pas à ces choses-là, on peut passer pour un ignorant et un imbécile sans l’être véritablement. Et moi je vous avertis que celui qui craint de tomber sous la langue d’autrui comme sous le fer pour des motifs pareils est un bois aride, et qu’il ne passe pas seulement pour un ignorant et un imbécile, mais qu’il est bien réellement convaincu d’ignorance et d’imbécillité.

5. Vous direz peut-être : N’étant pas un imbécile et m’appliquant surtout à ne pas l’être, je ne veux pas passer pour tel. Fort bien. Mais pourquoi ne le voulez-vous pas ? Je vous le demande. Vous n’avez pas craint de m’être importun dans les questions que vous m’avez prié de vous résoudre et de vous expliquer ; le grave motif qui vous a déterminé, ce motif si impérieux que vous l’appelez une extrême nécessité, c’est que vous ne vouliez pas vous exposer à passer pour ignorant et borné auprès des hommes enclins au blâme. Est-ce là, dites-moi, toute la raison qui a inspiré votre démarche auprès de moi, ou bien est-ce à cause de quelque autre chose que vous ne voulez pas passer pour ignorant et borné ? Si c’est là toute la raison, vous voyez, je pense, que c’est là aussi toute la fin de ce violent désir par lequel vous m’êtes à charge, comme vous l’avouez vous-même. Mais quoi de pesant peut me venir de Dioscore, si ce n’est ce qui pèse sur Dioscore lui-même sans qu’il s’en doute ? Ce poids, il ne le sentira que quand il voudra se lever ; et plût à Dieu que ce fardeau ne fût pas si fortement attaché que Dioscore ne pût plus le rejeter de ses épaules ! Je ne dis pas cela parce qu’on cherche à résoudre des difficultés comme celles qui me sont proposées, mais parce qu’on le cherche dans ce misérable but. Vous sentez bien que ce but est frivole et vain ; il produit une sorte d’enflure et d’abcès autour de l’œil de l’esprit, qui ne peut plus voir la vérité dans toute sa magnificence. Croyez-moi, il en est ainsi, mon cher Dioscore ; et je jouirai de vous, dans la volonté elle-même et la splendeur de cette vérité dont vous vous éloignez en ne suivant que son ombre. Je ne trouve rien autre à vous dire pour que vous m’en croyiez sur ce point. Car vous ne voyez pas, vous ne pouvez voir cette vérité, tant que vous mettez vos courtes joies dans les discours des hommes.