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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/238

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mais ce Dieu ne pouvait se concevoir qu’à l’aide de ces images qu’il répand et laisse échapper ; elles sortent, pareilles à une continuelle émanation de vapeur, de cette nature que le philosophe se représente comme je ne sais quoi de corporel, d’éternel et de divin à cause de cela ; elles vont et viennent et entrent dans nos esprits pour que la pensée de Dieu ou des dieux puisse se retracer en nous. Les gens de cette école n’assignent pas à nos pensées, quelles qu’elles soient, d’autre origine que le mouvement continuel de ces pénétrantes images ; comme si, pour des esprits accoutumés à des spéculations plus hautes, il n’y avait pas beaucoup de pensées, d’innombrables pensées qui n’ont rien de commun avec les corps et appartiennent à la pure intelligence, comme la sagesse elle-même et la vérité. Si ces philosophes-là n’ont pas l’idée de la sagesse et de la vérité, je m’étonne qu’ils en fassent le sujet de leurs disputes ; s’ils en ont quelque idée, je voudrais qu’ils me dissent de quel corps s’échappe ou ce que c’est que l’image de la vérité qui vient dans leur esprit.

28. Dans les questions naturelles Démocrite, dit-on, diffère d’Epicure ; il croit que le concours des atomes est doué d’une certaine force vitale et animée ; il accorde cette force aux images douées de divinité, non pas à toutes les images des choses, mais seulement aux images des dieux, qu’il regarde comme les principes de l’intelligence, comme les images animées qui ont coutume de nous servir ou de nous nuire. Epicure au contraire ne reconnaît dans les principes des choses rien autre que les atomes, c’est-à-dire des corpuscules si petits, que leur division n’est plus possible et qu’ils échappent à l’œil et au toucher ; selon lui, c’est par le concours fortuit de ces corpuscules qu’ont été faits et les mondes innombrables, et les animaux et les âmes elles-mêmes, et les dieux qu’il établit sous une forme humaine, non dans un monde, mais hors des mondes, et dans les espaces qui les séparent. Il ne veut concevoir rien autre que des corps ; mais pour les concevoir, il fait découler.des images de ces choses qu’il croit formées par les atomes ; elles entrent dans l’esprit, et le philosophe les déclare plus subtiles que celles qui viennent aux yeux. Selon lui, la vision se fait par certaines grandes images qui embrassent extérieurement le monde entier. Vous connaissez maintenant, je pense, ce système des images.

29. Je m’étonne que Démocrite n’ait pas, d’un mot, fait remarquer la fausseté de cette opinion. Si, d’après Epicure, notre esprit est corporel, comment se peut-il faire qu’enfermé dans un petit corps, il puisse atteindre et embrasser tant de grandes images ? car un petit corps ne peut atteindre sur tous les points à la fois un corps plus grand. Comment peut-on concevoir, en même temps, toutes ces images, si on ne les conçoit qu’à mesure qu’elles atteignent l’esprit en y venant et en y entrant ? elles ne sauraient, toutes à la fois, entrer dans un aussi petit corps, et toutes à la fois ne pourraient toucher un aussi petit esprit. N’oubliez pas que je parle ici d’après le système de ces philosophes, car l’esprit n’est pas pour moi ce qu’ils imaginent. Si Démocrite croit l’esprit incorporel, Epicure seul reste sous le coup de mon raisonnement ; mais pourquoi Démocrite n’a-t-il pas vu non plus que, pour qu’un esprit incorporel pense, il n’est pas besoin de la présence et du contact d’images corporelles, et et que cela, d’ailleurs, est impossible ? Ce que j’ai dit sur la vision les réfute ’assurément et également tous les deux ; car d’aussi petits yeux ne sauraient atteindre, dans toute leur étendue, d’aussi grandes images corporelles.

30. Quand on leur demande pourquoi on ne voit qu’une seule image de chaque corps d’où s’échappent, selon leur système, d’innombrables images ; ils répondent que, par cela même que ces images coulent et passent souvent, elles se ramassent et se condensent au point de n’en plus former à l’œil qu’une seule. Cicéron réfute cette erreur ; il nie que le Dieu de ces philosophes puisse se concevoir éternel ; s’il faut le concevoir sous une succession d’innombrables images qui coulent et passent. Et, parce que c’est l’innombrable abondance des atomes qui fait les formes éternelles des dieux, au dire de ces philosophes, de façon que les corpuscules, s’éloignant d’un corps divin, sont remplacés par d’autres, et que ce mouvement continuel et réparateur entretient la nature divine, Cicéron conclut que toute chose alors serait éternelle, car cette innombrable quantité d’atomes ne fait défaut à aucun être pour réparer de perpétuelles ruines ; ensuite, comment ce dieu ne craindrait-il pas de périr, « ainsi battu sans cesse, ainsi éternellement agité par la rencontre des atomes ? » Il dit que ce corps est battu à cause de l’irruption