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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/24

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tombèrent dans un seul jour. » Que veut-il encore, le dissertateur, quand il dit : « Le peuple s’assit pour manger et pour boire, et se leva pour jouer[1]. » L’Apôtre invoqua ce passage de l’Écriture, mais ce fut pour détourner du culte des idoles et non point du dîner du samedi. Cet homme-là ne prouve pas que ceci soit arrivé le samedi, mais il lui plaît de le conjecturer. De même qu’il peut se faire, si on est adonné au vin, qu’on rompe le jeûne en s’enivrant, de même, si on est tempérant, on peut ne pas jeûner et cependant manger avec modération. Pourquoi l’auteur cite-t-il encore ces mots de l’Apôtre : « Ne vous laissez pas aller aux excès du vin d’où naissent tous les désordres[2] ? » C’est comme s’il disait : Ne dînez pas le samedi, parce que toutes les dissolutions sont là. Comme les chrétiens qui craignent Dieu se conforment à ce précepte de l’Apôtre quand ils dînent le dimanche, ainsi l’observent-ils en dînant le samedi.

16. « Pour mieux répondre, dit cet homme, à ceux qui errent, il suffit de rappeler qu’avec le jeûne on peut ne pas profiter devant Dieu, mais que personne ne l’offense : or ne pas offenser Dieu, c’est profiter. » On ne parle ainsi que quand on ne sait pas ce qu’on dit. Il serait donc vrai que les païens, quand ils jeûnent, n’offensent pas Dieu ! Et si l’auteur n’entend appliquer ceci qu’aux chrétiens, ne serait-ce pas offenser Dieu que de jeûner le dimanche au grand scandale de toute l’Église répandue partout ? Cherchant encore inutilement dans l’Écriture des passages à l’appui de son opinion, il dit : « C’est par le jeûne qu’Élie a mérité de monter en corps et de régner dans le paradis : » comme si le jeûne n’était pas recommandé par ceux même qui ne l’observent pas le samedi, ainsi qu’il l’est par ceux qui, cependant, ne jeûnent pas le dimanche, et comme si, quand Élie jeûna, le peuple de Dieu jeûnait même le jour du sabbat. Ce que j’ai répondu pour les quarante jours de Moïse s’applique pour les quarante jours d’Elfe. « Par jeûne, dit l’auteur, Daniel échappa à l’impuissante rage des lions ; » comme s’il avait lu dans les livres saints que Daniel eût jeûné le samedi ou qu’il se fût trouvé un samedi avec les lions ; mais nous lisons qu’il mangea au « milieu d’eux. « Par le jeûne, continue cet homme, la fidèle fraternité des trois enfants a été triomphante dans une prison de feu, et a mérité de recevoir et d’adorer le Seigneur dans des flammes hospitalières. » Ces exemples des saints ne servent de rien pour établir le jeûne à quelque jour que ce soit, encore moins le jeûne du samedi. Non-seulement on ne lit pas que les trois enfants aient été jetés dans la fournaise un samedi, mais on ne lit rien qui puisse nous apprendre qu’ils y soient restés assez longtemps pour jeûner ; bien plus, ils y restèrent à peine une heure, qu’ils passèrent à chanter leur hymne : ils ne se promenèrent pas au milieu de ces flammes bénignes au-delà de la durée de leur cantique. Mais peut-être que, dans la pensée du dissertateur, on jeûne du moment qu’on reste une heure sans manger ; et, dans ce cas, il n’y aurait pas de quoi se fâcher contre ceux qui dînent le samedi, car le temps qui s’écoule jusqu’à l’heure du repas nous représente un plus long jeûne que celui qui eut lieu dans la fournaise.

17. L’auteur cite encore ce passage de l’Apôtre : « Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et le manger, mais dans la justice et « la paix, et dans la joie que donne l’Esprit« Saint[3] » Il veut que « le règne de Dieu » soit pris ici pour l’Église, dans laquelle Dieu règne. Mais, dites-moi, je vous prie : est-ce que l’Apôtre, quand il parlait ainsi, songeait à faire jeûner les chrétiens le samedi ? Il n’en était question pour aucun des jours de la semaine. L’Apôtre parlait de la sorte contre ceux qui, selon la coutume des Juifs et selon l’ancienne loi, faisaient consister la pureté dans un certain genre de nourriture, et pour l’instruction de ceux qui scandalisaient les faibles en mangeant indifféremment de tout. Quand il a dit : « Ne faites point périr par votre nourriture celui pour lequel le Christ est mort ; que notre bien ne soit donc point blasphémé[4] ; » c’est alors qu’il ajoute : « Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et le manger. » S’il fallait entendre ces paroles de l’Apôtre comme les entend le dissertateur, et que le royaume de Dieu » étant l’Église, on ne pût lui appartenir que par le jeûne, il ne s’agirait plus de consacrer le samedi au jeûne, mais de ne plus manger du tout, de peur de sortir de ce royaume. Je crois pourtant qu’il avouera que nous appartenons un peu plus religieusement à l’Église dans ce jour du dimanche où il nous permet de ne pas jeûner.

  1. I Cor. X, 8
  2. Eph. V, 18
  3. Rom. XIV, 17
  4. Ibid. XIV. 15