Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

gloire du Seigneur sans voiles (1), dites-nous, autant que vous a donné le pouvoir de l’exprimer, Celui qui vous a éclairé de ses vives lumières, dites-nous quelque chose de la substance ineffable, et, avec l’aide de Dieu, efforcez-vous de nous représenter avec des paroles l’image de sa ressemblance ; sans vous, qui êtes chef et maître dans ces grandes choses, notre pensée craint de s’y arrêter, et nos yeux malades ne peuvent supporter le reflet de ces splendeurs. Entrez donc dans cette nuée obscure des mystères de Dieu, impénétrable à nos regards ; je sens que je me suis trompé dans les questions que je voulais résoudre : corrigez ces erreurs, en moi d’abord, puis dans mes livres : je veux suivre par l’a foi l’autorité de votre sainteté plutôt que de m’égarer dans les fausses images de ma raison.

3. J’ai entendu enseigner et je crois avec la simplicité la plus circonspecte, que le Seigneur Jésus-Christ est lumière de lumière, comme il est écrit « Annoncez bien le jour né d’un autre jour, son Sauveur[1] ; » et dans le livre de la Sagesse : « Il est la splendeur de ta lumière éternelle[2] ; » et je croyais, sans toutefois pouvoir m’en faire dignement une idée, que Dieu est une grandeur, infinie d’ineffable lumière, dont la pensée humaine, à quelque hauteur qu’elle monte, ne peut ni apprécier la nature, ni mesurer l’étendue, ni imaginer la forme ; mais que cependant, quelle que puisse être cette grandeur, sa forme est incomparable, sa beauté au-dessus de tout, et que le Christ au moins peut la voir des yeux même du corps. À la fin du premier livre, comme vous voulez bien vous en souvenir, sans doute, je désirais prouver que le Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire l’homme uni à Dieu, tout en possédant la divine puissance, garde la forme humaine de son incarnation, et qu’avec sa mort rien n’a péri que l’infirmité qu’il tenait de la terre ; mais on m’a fait une objection. « Si, dit-on, cet homme à qui le Christ s’est uni, a été changé en Dieu, il n’a pas dû être subordonné à des limites d’espaces : pourquoi donc, après sa résurrection, a-t-il dit : Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père Jean, XX, 17.</ref> ? »

4. Voulant donc prouver que le Christ est partout par sa puissance et non par ses œuvres, par sa divinité et non par son corps, je me suis exprimé ainsi sur l’unité de Dieu et la trinité des personnes : « Il n’y a qu’un seul Dieu, et il y a trois personnes. Dieu n’est pas distinct, les personnes sont distinctes. Dieu est en toutes choses et au delà de toutes choses ; il enferme les dernières limites, remplit le milieu et dépasse les hauteurs ; il est répandu partout et au delà de tout ; les personnes, égales entre elles, ont des propriétés distinctes et ne se confondent pas. Dieu donc est un, et il est partout, car il n’y en a pas d’autre et il n’y a pas de lieu vide où puisse être un autre Dieu. Tout est plein de Dieu, et il n’y a rien au delà de Dieu. Le même Dieu est dans le Père, le même dans le Fils, le même dans le Saint-Esprit ; et à cause de cela le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas plusieurs dieux, mais n’en forment qu’un seul ; le 1. II Cor. III, 18. Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Saint-Esprit. Le Père est dans le Fils, le Fils est dans le Père, le Saint-Esprit dans tous les deux, parce que Dieu habite un et indivisible dans les trois personnes qui sont distinguées entre elles par le nombre, non par le rang et la puissance. Tout ce qui appartient au Père appartient au Fils ; tout ce qui appartient au Fils appartient au Père ; tout ce qui appartient à tous deux appartient au Saint-Esprit : ils ne possèdent pas seulement une égale substance de la divinité, mais la même, c’est-à-dire l’unique, l’indivisible substance divine. Aussi, l’un n’a pas le rang sur l’autre par la majesté ou l’âge ; ce qui est plein ne peut pas se diviser ; il n’y a pas dans la plénitude quelque chose qui puisse séparer la plénitude et faire une part plus grande à l’un, plus petite à l’autre. Mais il n’en est pas ainsi dans les personnes, parce que la personne du Père n’est pas celle du Fils, ni la personne du Fils celle du Saint-Esprit. Trois puissances ne possèdent qu’une seule et même puissance ; trois personnes subsistent dans la même substance : le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont donc partout par la majesté, parce qu’ils ne font qu’un ; chacun d’eux n’est qu’en soi que par les personnes, parce qu’il y en a trois. » Et, continuant de la sorte, je suis arrivé à établir que les trois personnes sont présentes partout, mais par cette majesté qui est une et qui est la même au-dessus des cieux, au delà des mers et au delà des enfers. D’où je concluais que l’homme uni au Christ n’a pas, en se changeant en Dieu, perdu sa nature, mais que cependant on ne doit pas le prendre pour une quatrième personne.

5. Mais vous êtes un homme à qui il a été donné, je crois, de pénétrer dans le ciel par la force de la pensée, car il ne trompe pas Celui qui a dit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur parce qu’ils verront Dieu[3] ! » Vous vous élevez au-dessus des astres par la pureté du cœur, vous montez aux plus hautes contemplations, et vous dites qu’il ne faut pas se représenter Dieu comme quelque chose de corporel. Quand même on pourrait concevoir une lumière mille fois plus pure et plus éclatante que celle du soleil, on ne parviendrait pas à se retracer quelque chose de semblable à Dieu, parce que tout ce qui peut se voir est corporel ; et comme nous ne pouvons pas nous figurer sous des traits visibles la justice et la piété, à moins que, par hasard, à la manière païenne, nous ne les représentions sous les formes d’une femme ; ainsi il nous faut concevoir Dieu, autant que possible, sans que l’imagination nous représente aucune image. Dans la tiédeur de mon âme, je puis à peine entendre les raisonnements subtils, et il ne me paraissait pas que la justice pût être quelque chose de vivant comme substance ; c’est pourquoi je ne saurais me représenter Dieu, nature vivante, comme semblable à la justice ; car la justice ne vit pas en elle-même, mais en nous ; ou plutôt nous vivons selon la justice ; mais elle ne vit point par elle-même : à moins qu’on n’affirme que la justice n’est pas notre équité humaine,

  1. Ps. XCV, 2.
  2. Sag. VII, 26.
  3. Matth. V, 8.