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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/243

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précédent, où vous dites que selon vous il faut connaître la vérité par la foi plus que par la raison. Voici vos paroles : « Si c’était le raisonnement et non point une piété soumise qui conduisît à la foi de la sainte Église, les philosophes et les orateurs seraient seuls admis à posséder la béatitude. Mais parce qu’il a plu à Dieu de choisir ce qu’il y a de plus faible en ce monde pour confondre ce qu’il y a de plus fort, et de sauver les croyants par la folie de la prédication, nous devons plutôt suivre l’autorité des saints que de demander raison des choses divines. » Voyez, d’après cela, si sur cette question qui fait surtout notre foi, vous ne devez pas suivre uniquement l’autorité des saints au lieu de m’en demander la raison et l’intelligence. Car en m’efforçant de vous introduire de quelque manière dans l’intelligence d’un si grand mystère (et je ne le pourrai que si Dieu m’aide intérieurement), que ferai-je sinon de vous en rendre raison dans la mesure de mon pouvoir ? Mais si vous avez droit de demander, à moi ou à quelque docteur que ce soit, de comprendre ce que vous croyez, exprimez-vous autrement, non pas pour refuser de croire, mais pour chercher à voir avec la lumière de la raison ce que vous tenez déjà avec la fermeté de la foi.

3. Loin de nous la, pensée que Dieu haïsse dans l’homme ce en quoi il l’a créé supérieur aux autres animaux ! A Dieu ne plaise que la foi nous empêche de recevoir ou de demander la raison de ce que nous croyons, puisque nous ne pourrions pas croire si nous n’avions pas des âmes raisonnables ! Et si dans les choses qui appartiennent à la doctrine du salut et que nous ne pouvons pas comprendre encore, mais que nous comprendrons un jour, il convient que la foi précède la raison, la foi qui purifie le cœur et le rend capable de recevoir et de soutenir la lumière de la grande raison, c’est la raison même qui l’exige. Voilà pourquoi il a été dit raisonnablement par le Prophète : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas[1]. » Ici le Prophète a clairement distingué ces deux choses et nous a conseillé de commencer par croire, afin d’arriver à comprendre ce que nous croyons. Ainsi donc il a paru raisonnable que la foi précédât la raison. Car si ce précepte n’est pas raisonnable, il est donc irraisonnable ! Dieu nous garde de le penser ! S’il est raisonnable que la foi précède la raison pour monter à certaines grandes choses que nous ne pouvons pas encore comprendre, sans doute, quelque petite que soit la raison qui nous le persuade, elle précède elle-même la foi.

4. Aussi l’apôtre Pierre nous avertit de nous tenir prêts à répondre à quiconque nous demande raison de notre foi et de notre espérance[2]. Si donc un infidèle me demande raison de ma foi et de mon espérance, et si je vois qu’il ne puisse pas comprendre avant de croire, je lui rendrai raison en lui montrant, s’il est possible ; combien il est contraire à l’ordre de vouloir demander, avant de croire, la raison des choses qu’on ne peut pas comprendre. Mais si c’est un fidèle qui demande à comprendre ce qu’il croit, il faut considérer la mesuré de son intelligence et lui rendre raison dans cette limite ; il faut proportionner à sa portée l’explication de ce  i qu’il croit ; l’explication sera plus grande s’il comprend plus ; elle sera moindre s’il comprend moins. Toutefois, en attendant le complément, la plénitude de la connaissance, il doit rester dans le chemin de la foi. L’Apôtre l’a dit en ces termes : « Si vous pensez quelque chose autrement qu’il ne faut, Dieu vous éclairera ; cependant tenons-nous au point de vérité où nous sommes parvenus[3]. » Si donc nous sommes déjà fidèles, nous marchons par la voie de la foi, et si nous ne nous en écartons point, nous parviendrons, sans aucun doute, non-seulement à l’intelligence des choses incorporelles et immuables, à un degré où tous ici-bas ne peuvent atteindre, mais encore au sommet de la contemplation, que l’Apôtre désigne par la vue face à face[4]. De bien petits, mais qui n’ont jamais cessé de marcher dans la voie de la foi, parviennent à cette très-heureuse contemplation ; d’autres sachant déjà, jusqu’à un certain point, ce que c’est que la nature invisible, immuable, incorporelle, mais refusant d’entrer dans la voie qui mène au séjour d’une si grande béatitude parce qu’elle leur paraît insensée (et cette voie, c’est Jésus crucifié), ne peuvent atteindre au sanctuaire de cette paix divine dont la lumière éblouit leur esprit comme par un rayonnement lointain.

5. Or, il est des choses auxquelles nous n’ajoutons pas foi quand on nous les dit, et si on vient à nous en rendre raison, nous reconnaissons pour vrai ce que nous ne pouvons

  1. [[Bible_Crampon_1923/Isaïe#Bible_Crampon_1923/IsaïeCH|Isaïe, VII, 9, d’après les septante.
  2. I Pierre, III, 15.
  3. Philip. III, 15, 16.
  4. I Cor, I, 21-29.