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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/254

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témoignage de sa piété ; il la donne pour mère à un autre, il veut que celui-ci la console à sa place ; il présente en retour, ou plutôt, si j’ose parler ainsi, il engendre un nouveau fils à sa mère : c’était montrer qu’excepté lui-même, né de cette vierge, elle n’avait pas eu et n’avait pas de fils. Le Sauveur n’aurait pas été tant occupé de consoler Marie, s’il n’avait pas été son fils unique. 18 Mais revenons aux paroles de Siméon, dont je ne puis saisir le sens : « Un trait (ou un glaive) transpercera votre âme, pour que les pensées de plusieurs cœurs soient manifestées. » Ceci, pris à la lettre, est pour moi tout à fait obscur ; nous ne lisons nulle part que la bienheureuse Marie ait été tuée ; Siméon n’a donc pu prédire qu’elle souffrirait par le glaive matériel. Mais il ajoute : « Afin que les pensées de plusieurs cœurs soient manifestées. » « Dieu, dit le Psalmiste, sonde les cœurs et les reins[1]. » L’Apôtre, en parlant du jugement futur, dit que « Dieu manifestera alors les secrets des cœurs et ce qui est caché dans les ténèbres[2]. » Le même apôtre, désignant spirituellement les armes célestes, dont nous devons être munis au fond de notre âme, dit que la parole de Dieu est le glaive de l’esprit[3], et dans l’épître aux Hébreux, il dit que cette « parole de Dieu est vive, efficace et plus pénétrante qu’un glaive à deux tranchants ; elle atteint jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit[4], » et le reste que vous connaissez. Quoi donc d’étonnant que la force toute de feu de cette parole et le double tranchant de ce glaive aient transpercé jadis l’âme de Joseph, et plus tard l’âme de la bienheureuse Marie ? Nous ne sachons pas que le fer ait passé dans le corps de l’un ni de l’autre. Et afin qu’il soit plus évident que le prophète emploie ici le mot « fer » pour désigner le glaive de la parole, il ajoute dans le verset suivant : « La parole du Seigneur l’embrasa[5]. » Car la parole de Dieu est une flamme et un glaive, comme le Verbe divin a dit lui-même : « Je suis venu apporter le feu sur la terre ; et que puis-je vouloir sinon qu’il s’allume[6] ? » Il dit ailleurs : « Je ne suis pas venu vous apporter la paix, mais le glaive[7]. » Vous voyez qu’il a exprimé la force unique de sa doctrine par ces deux mots de flamme et de glaive. De quelle manière la passion et les douleurs de Marie se mêlent-elles à l’image de l’épée ? Je désire savoir quel rapport peut avoir avec Marie la manifestation des pensées de plusieurs cœurs, et comment son âme traversée, soit par un fer matériel, soit par le glaive spirituel de la parole de Dieu, a pu produire la révélation des pensées de plusieurs. Expliquez-moi surtout ces paroles de Siméon, parce que je ne doute pas qu’elles ne soient claires pour vous qui, à cause de la pureté de votre œil intérieur, avez mérité que l’Esprit-Saint vous illumine c’est par cet Esprit qu’on peut voir et pénétrer jusque dans les profondeurs divines. Que Dieu ait pitié de moi par vos prières, qu’il fasse briller sur moi la lumière de sa face parle flambeau de votre parole, vénérable seigneur, très-heureux et très cher frère en Notre-Seigneur Jésus-Christ, mon maître dans la véritable foi, mon appui dans les entrailles de la charité ! 

LETTRE CXXII.


(Année 410.)

Cette lettre, écrite de Carthage où les soins d’un concile retenaient saint Augustin, est une touchante et curieuse expression des sentiments qui occupaient l’évêque d’Hippone pendant que les malheurs de l’univers, sous les coups des Barbares, faisaient croire à la fin des temps. En l’absence du saint évêque, les fidèles d’Hippone avaient négligé de vêtir les pauvres, se relâchant ainsi d’une de leurs pieuses coutumes ; Saint Augustin les convie à la réparation de cet oubli.

AUGUSTIN A SES BIEN-AIMÉS FRÈRES DANS LA CLÉRICATURE ET A TOUT LE PEUPLE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je demande d’abord à votre charité et vous conjure par le Christ de ne pas vous affliger de mon absence corporelle. Car je crois que vous n’en doutez pas, je ne puis jamais me séparer de vous par l’esprit et le sentiment du cœur ; mais ce qui me rend triste, plus peut-être que vous ne l’êtes vous-même, c’est que ma faiblesse ne puisse suffire à tous les soins qu’exigent de moi les membres du Christ au service desquels m’attachent sa crainte et son amour. Sachez bien que mes absences n’ont jamais été un abus de ma liberté, mais une obligation nécessaire qui, souvent, a forcé mes saints frères et collègues de supporter les fatigues des voyages sur mer. Je n’ai pas pu faire comme eux ; ce n’était pas refus de ma part, mais faiblesse de santé. Agissez donc de telle sorte, frères bien-aimés, que selon les paroles de l’Apôtre, « soit en arrivant et en vous voyant, soit durant mon absence, j’apprenne que vous demeurez fermes dans un même esprit, et que vous travaillez tous d’un même cœur pour la foi de l’Évangile[8]. » Si quelque peine temporelle vous tourmente, elle doit vous faire penser à cette vie future où puissiez-vous vivre sans douleur aucune, échappant non point aux misères d’un temps court, mais aux supplices horribles d’un feu éternel. Si vous mettez tant de soin, de volonté et d’effort à éviter des afflictions passagères, combien vous devez travailler à vous préserver des malheurs éternels ! Si on craint ainsi la mort qui finit une peine temporelle, il faut bien plus redouter cette mort qui envoie dans l’éternelle douleur ! et si on aime

  1. Ps. VII, 10.
  2. I Cor. IV, V.
  3. Ephés. VI, 17.
  4. Hébr, IV, 12.
  5. Luc. XII, 49.
  6. Luc. XII, 49.
  7. Matth, X, 34.
  8. Philip. I, 27.