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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/33

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pour gagner les juifs[1], » et le reste qui est dit par compassion de miséricorde et non point par dissimulation de tromperie. C’est ainsi que celui qui sert un malade se fait en quelque sorte malade comme lui ; il ne dit pas qu’il a la fièvre avec lui, mais il pense, avec le sentiment même du malade, à la manière dont il voudrait être servi s’il était à sa place. Saint Paul était juif ; devenu chrétien, il n’abandonna point les sacrements que le peuple juif avait reçus en son temps, quand ils lui étaient nécessaires. Il les garda lorsque déjà il était apôtre du Christ ; mais c’était pour montrer que ces signes religieux n’avaient rien de pernicieux pour ceux qui, les ayant reçus de leurs pères, y demeuraient attachés, même en croyant au Christ, sans toutefois y mettre encore l’espérance du salut : ce même salut que représentaient les sacrements anciens, était arrivé par le Seigneur Jésus. C’est pourquoi saint Paul ne jugeait pas à propos d’imposer aux Gentils un fardeau pesant et inutile auquel ils n’étaient pas accoutumés, et qui pouvait les éloigner de la foi[2].
5. Il ne reprit point saint Pierre pour avoir observé les traditions de ses pères ; saint Pierre pouvait le faire, s’il voulait, sans mensonge, sans inconvénient et avec justice : c’étaient des choses inutiles, accoutumées, et qui ne nuisaient pas ; mais pour avoir forcé les Gentils à judaïser, comme si ces pratiques étaient encore nécessaires au salut, même après l’avènement du Seigneur, ce que la vérité même réfuta énergiquement par le ministère apostolique de Paul. Saint Pierre ne l’ignorait pas, mais il craignait les circoncis. Ainsi il fut véritablement repris, et saint Paul a raconté la vérité ; et la sainte Écriture, donnée au monde pour la foi des générations futures, n’est point ébranlée par l’admission d’un mensonge, et son autorité n’est d’aucune manière ni douteuse ni flottante. On ne veut pas, et j’ajoute qu’on ne doit pas mettre en lumière les détestables conséquences qu’entraînerait une semblable concession : pour le faire à propos et avec moins de danger, il faudrait un entretien où nous ne fussions que nous deux.
6. Saint Paul avait quitté ce que les juifs avaient de mauvais ; et d’abord il s’était séparé d’eux en ce que, ne connaissant pas la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice, « ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu[3] ; » un autre mauvais côté délaissé par saint Paul, c’était la croyance qu’il y avait dans l’observation des pratiques anciennes plus qu’une coutume, mais une nécessité de salut, après la passion et la résurrection du Christ, après l’institution et la manifestation du sacrement de grâce selon l’ordre de Melchisédech. Il y eut un temps où ces pratiques furent de nécessité ; il n’en faut pas d’autre témoignage que le martyre des Machabées qui, autrement, eût été sans fruit et sans but[4]. Enfin, le grand Apôtre se séparait des juifs dans leurs attaques contre les prédicateurs chrétiens de la grâce qui n’étaient à leurs yeux que des ennemis de la loi. Ce sont des erreurs et des dispositions vicieuses de ce genre qu’il « méprisait et regardait comme des ordures, résolu de tout perdre pour gagner Jésus-Christ[5], » et non pas l’observation de la loi selon la coutume des ancêtres, observation pratiquée par lui-même sans aucune nécessité de salut, comme les juifs le croyaient, et sans dissimulation fallacieuse, comme celle qu’il avait reprochée à saint Pierre. Si saint Paul a pratiqué les cérémonies anciennes pour faire croire qu’il était juif afin de gagner les juifs, pourquoi n’a-t-il pas sacrifié avec les gentils, lui qui a vécu comme sans loi avec ceux qui n’en avaient point, pour les gagner aussi ? C’est qu’il était juif par nature, et qu’il dit tout cela, non point pour feindre ce qu’il n’était pas, mais pour venir miséricordieusement en aide aux juifs et aux gentils : pour mieux se faire compatissant, il semblait se livrer aux mêmes erreurs ; ce n’était pas la ruse du mensonge, mais l’attendrissement de la pitié. L’Apôtre nous le déclare d’une manière générale dans cet endroit même : « Je me suis fait, dit-il, faible avec les faibles, pour gagner les faibles[6] ; » la conclusion qui suit : « Je me suis fait tout à tous pour les gagner tous, » a pour but de nous montrer les faiblesses de chacun apparaissant dans la compassion de l’Apôtre. Et quand il disait : « Qui souffre sans que je souffre aussi[7] ? » il ne simulait pas les faiblesses d’autrui, il les ressentait.
7. Soyez donc franchement et chrétiennement sévère envers vous-même, je vous en conjure, pour revoir et corriger cet ouvrage, et chantez, comme disent les Grecs, la palinodie : la vérité des chrétiens est incomparablement

  1. Cor. IX, 20.
  2. Act. XV, 28.
  3. Rom. X, 3.
  4. II Mach. VII, 1.
  5. Philip. II, 8.
  6. I Cor, IX, 22.
  7. I Cor. XI, 29.