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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/41

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comme les anneaux d’une chaîne ; ils ne s’occupèrent ni du nombre de ces évêques, ni du lieu d’où ils étaient partis ; ils ne reconnaissaient en eux que des hommes assez aveuglés pour condamner précipitamment des collègues sans les entendre. Et quelle sentence que celle que porta en dernier lieu le bienheureux Melchiade lui-même ! Combien elle fut pure, intègre, prudente et pacifique. L’évêque de Rome ne voulut pas séparer de sa communion ceux de ses collègues contre lesquels rien n’était prouvé ; il ne blâma fortement que Donat, en qui il reconnut la cause de tout, le mal ; il laissa aux autres la liberté de revenir au bien, tout prêt à envoyer des lettres de communion à ceux-là même qu’on savait être ordonnés par Majorin : de sorte que, partout où la division aurait amené deux évêques, il aurait voulu que le premier ordonné fût maintenu, et qu’un autre peuple fût confié à l’autre. O l’excellent homme ! ô l’enfant de la paix chrétienne et le père du peuple chrétien ! Comparez maintenant ce petit nombre 'à la multitude de vos évêques, non pas le nombre au nombre, mais. le poids au poids : d’un côté la modération, de l’autre la témérité ; ici la vigilance, là l’aveuglement. Ici, la mansuétude n’a point affaibli l’intégrité, ni l’intégrité la mansuétude ; là, au contraire, la crainte était couverte par la fureur et la fureur s’accroissait par la crainte. Ceux-ci s’étaient réunis pour rejeter les fausses accusations en recherchant les crimes véritables ; ceux-là pour cacher les crimes véritables en condamnant des crimes supposés.

17. Cécilien devait-il se confier à de tels juges, lorsqu’il en avait auprès de qui il pouvait très-aisément prouver son innocence si sa cause était portée à leur tribunal ? Il ne devait pas se confier à eux, quand même il eût été un étranger ordonné tout à coup évêque de l’Église de Carthage, quand même il aurait ignoré ce que pouvait alors pour corrompre les méchants et les simples une certaine Lucille, très-riche femme qu’il avait offensée étant diacre, en la reprenant au nom de la discipline ecclésiastique elle avait été comme un surcroît de mal pour consommer l’iniquité[1]. Car dans ce concile où des traditeurs qui s’étaient avoués coupables condamnèrent des absents et des innocents, ils étaient en petit nombre ceux qui cherchaient à couvrir leurs crimes parla diffamation d’autrui, et qui, par de fausses rumeurs, travaillaient à détourner de la recherche de la vérité ; ces meneurs et ces intéressés étaient eh petit nombre, malgré le crédit que leur donnaient leurs relations avec Sécondus qui, tremblant pour lui-même, les avait épargnés. Ce fut surtout l’argent de Lucille qui gagna les autres et les poussa contre Cécilien. Dans les actes déposés chez Zénophile, personnage consulaire, il est dit qu’un certain diacre appelé Nondinarius, ayant été dégradé par Sylvain, évêque de Cirta, et n’ayant pu parvenir à le fléchir par des lettres d’autres évêques, exhala sa colère en révélations multipliées, et les produisit en jugement public ; entre autres faits qui furent alors déclarés et qui se trouvent consignés dans les actes, on remarque que l’argent de Lucille corrompit les évêques et qu’à Carthage, métropole de l’Afrique, on éleva autel contre autel. Je sais que nous ne vous lûmes pas ces actes, mais vous vous souvenez bien que ce fut le temps qui nous manqua. Un mécontentement né de l’orgueil favorisa aussi la défection de ces évêques ; ils supportaient mal de n’avoir pas ordonné eux-mêmes le pontife de Carthage.

18. Cécilien ne reconnaissant donc pas en eux de vrais juges, mais des ennemis et des, gens corrompus, aurait-il pu vouloir sortir de son église pour se rendre dans une maison particulière où, au lieu du tranquille et sérieux examen de ses collègues, il aurait trouvé une fin violente sous les coups d’une faction, sous les coups de haines de femmes ? Son peuple l’aurait-il laissé sortir, surtout en pensant que dans l’Église d’outre-mer, étrangère à ces inimitiés privées et à ces déchirements intérieurs, il lui était réservé un tribunal intègre et non corrompu ? Si ses ennemis ne voulaient rien faire de ce côté, ils se retrancheraient eux-mêmes de la communion de l’univers, qu’il était impossible de déclarer coupable ; s’ils essayaient de l’accuser devant ce tribunal, il y serait présent, il défendrait son innocence contre leurs machines de guerre, comme vous avez appris qu’il le fit ensuite, lorsque ses adversaires sollicitèrent trop tard le jugement d’outre-mer, après le schisme accompli et après le crime horrible d’avoir élevé autel contre autel. C’est par là qu’ils auraient commencé s’ils s’étaient reposés

  1. Saint Jérôme, dans une de ses lettres, parle des misérables femmelettes (miserae mulierculœ), qui se rencontrent dans l’histoire des hérésies. À côté de Simon le Magicien, il voit la courtisane Hélène ; à côté d’Apelles, Philumène ; à côté de Montan, Prises et Maximille ; à côté de Donat, Lucille ; à côté d’Elpide, Agapet. Des femmes jouent aussi un rôle dans les hérésies de Nicolaüs d’Antioche, de Marcion et d’Arius. Lettre de saint Jérôme à Ctésiphon contre Pélage.