Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

inutilement le silence par nos prières, par nos menaces même, et les efforts de Fortunius étaient aussi vains que les nôtres.

2. Cependant nous entrâmes dans la question, et nous parlâmes quelques heures l’un après l’autre, autant que le permettaient les intervalles de relâche que se donnaient les tumultueuses voix. À ce commencement de la conférence, voyant que les choses qui avaient été dites échappaient à notre mémoire ou à la mémoire de ceux dont nous cherchions le salut, et dans la pensée aussi de mettre plus de sûreté et de modération dans la dispute, de vous faire connaître ensuite, à vous et à nos autres frères absents, ce qui se serait passé entre nous, nous demandâmes des sténographes pour recueillir nos paroles. Fortunius et ses adhérents s’y refusèrent longtemps ; votre évêque finit pourtant par y consentir. Mais les sténographes qui étaient présents, et qui pouvaient remplir habilement cette tâche, refusèrent, je ne sais pourquoi, leur concours ; à leur défaut, nous décidâmes quelques-uns de nos frères à remplir cet office, quoiqu’ils fussent plus lents dans la besogne ; nous promettions de laisser là les tablettes. On y consentit. Nos paroles commençaient à être recueillies, et des deux côtés les tablettes se couvraient d’écritures ; mais les interpellations désordonnées se croisant bruyamment autour de nous, et notre propre dispute devenant trop ardente, les sténographes déclarèrent qu’ils ne pouvaient plus nous suivre et cessèrent leur travail ; nous ne cessâmes point, nous, la discussion, et, selon la faculté de chacun, beaucoup de choses furent dites. D’après toutes nos paroles, autant du moins que j’ai pu m’en souvenir, j’ai résumé toute la conférence et je n’ai pas voulu en priver votre charité ; vous pouvez lire ma lettre à Fortunius pour qu’il reconnaisse l’exactitude de ce que j’aurai écrit, ou qu’il y supplée sans délai, s’il se rappelle quelque chose de mieux.

3. Fortunius a d’abord daigné louer notre vie, qu’il disait connaître par vos récits où il est entré peut-être plus de bienveillance que de vérité ; il ajouta qu’il vous avait dit que ce que nous faisons serait bien si nous le faisions dans l’Église. Nous lui demandâmes ensuite quelle était cette, Église où il fallait ainsi vivre, si c’était celle qui, d’après les promesses des saintes Écritures, devait être répandue sur toute la terre, ou celle qui ne se compose que d’une petite partie de l’Afrique et d’une petite partie d’Africains. Ici Fortunius s’efforça de soutenir qu’il était en communion avec toute la terre. Je lui demandais s’il pourrait me donner, pour les lieux où je voudrais, des lettres de communion que nous appelons lettres formées, et j’affirmais, ce qui était évident pour tous, qu’il n’y avait pas de plus facile manière de terminer la question ; j’étais prêt, s’il voulait, à envoyer des lettres semblables à ces Églises que les écrits des Apôtres nous auraient montrées à l’un et à l’autre avoir été fondées de leur temps.

4. Mais parce que la chose qu’il avait dite était évidemment fausse, il y renonça après quelques mots confus ; dans l’embarras de sa défaite, il rappela cet avertissement du Seigneur : « Prenez garde aux faux prophètes ; il en viendra sous la peau de brebis, mais au-dedans ce sont des loups ravisseurs : vous les connaîtrez à leurs fruits[1]. » Comme nous fîmes observer que nous pouvions leur appliquer ces mêmes paroles du Seigneur, Fortunius en vint à l’exagération des persécutions, qu’il disait avoir été souvent exercées contre son parti ; voulant montrer par là que les vrais chrétiens étaient de son côté, puisqu’ils souffraient persécution. Au moment ou j’allais lui répondre par l’Évangile, il me cita le passage même, que je songeais à lui rappeler ; « Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux[2] ! » Je lui sus gré de la citation, et je l’invitai aussitôt à chercher si ceux de son parti avaient souffert persécution pour la justice. Je désirais examiner à cette occasion, avec lui, une question bien claire pour tous, la question de savoir si les temps macariens[3] avaient trouvé ceux de son parti établis dans l’unité de l’Église ou déjà séparés ; pour voir s’ils avaient souffert persécution pour la justice, il fallait considérer s’ils avaient eu raison de rompre avec l’unité de toute la terre ; s’il était prouvé qu’ils s’en fussent séparés à tort, il deviendrait manifeste qu’ils auraient eu à souffrir pour l’injustice plutôt que pour la justice ; ils ne pourraient pas être compris au nombre des bienheureux dont il a été dit : « Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! » Fortunius rappela ici l’affaire, plus célèbre que certaine, des traditeurs des livres saints ; mais on répondait

  1. Matth. VII, 15, 16
  2. Matth. V, 10
  3. Nous avons eu déjà occasion de rappeler l’origine de cette dénomination et de faire justice de ces temps macariens tant de fois et si calomnieusement reprochés aux catholiques d’Afrique.