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s’il doit se laisser mourir de faim plutôt que de toucher à cette nourriture. De ce que cette viande est dans le temple, il ne s’ensuit pas qu’elle ait été offerte aux idoles ; un passant a pu laisser là les débris de son repas volontairement ou par oubli. Je réponds donc brièvement : ou il est certain que cette viande a été immolée aux idoles, ou il est certain qu’elle ne l’a pas été, ou bien on n’en sait rien ; si l’immolation est certaine, mieux vaut qu’un chrétien ait la force de s’en abstenir ; si on sait le contraire, ou si on ne sait rien, on peut, pressé par le besoin, manger de cette viande sans aucun scrupule de conscience.

LETTRE XLVIII.

(Année 398.)

Saint Augustin se recommande aux prières des moines de l’île de Capraia ; il dit dans quel esprit il faut aimer le repos et pratiquer les bonnes œuvres, et comment il faut se tenir toujours prêt pour les besoins de l’Église.

AUGUSTIN ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, A SON CHER ET TRÈS-DÉSIRÉ FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, EUDOXE, ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Quand nous songeons au repos dont vous jouissez dans le Christ, nous nous sentons reposés nous-mêmes dans votre charité, malgré le poids et la diversité de nos travaux. Nous ne sommes qu’un même corps sous un chef unique ; vous avez nos labeurs comme nous avons vos loisirs ; « si un membre souffre, tous souffrent aussi, et si un membre reçoit quelque gloire, tous les membres se réjouissent avec lui[1]. » C’est pourquoi nous vous avertissons, nous vous demandons, nous vous conjurons, par la profonde humilité du Christ et sa grandeur miséricordieuse, de vous souvenir de nous dans vos saintes oraisons que nous croyons plus vives et meilleures que les nôtres ; car bien souvent nos prières se trouvent comme frappées et affaiblies par les ombres et le bruit des occupations séculières ; ce n’est pas pour nos propres affaires que nous subissons tout ce tracas ; ceux pour qui nous agissons nous contraignent à faire mille pas, et nous nous imposons d’en faire avec eux deux mille autres[2] ; aussi notre fardeau est si grand que nous respirons à peine. Nous croyons, cependant, que celui vers qui s’élèvent les gémissements

des captifs[3] nous délivrera, grâce à vos prières, de toutes nos tribulations, si nous persévérons dans le ministère où il a daigné nous établir avec promesse de récompense.

2. Pour vous, frères, nous vous exhortons, dans le Seigneur, à demeurer fidèles à vos résolutions jusqu’à la fin ; si l’Église, notre mère, vient à vous demander quelque œuvre, tenez-vous en garde à la fois contre une ardeur trop vive et trop impatiente, et contre les caressantes inspirations d’un trop grand amour du repos ; mais obéissez doucement et soumettez-vous pleinement à Dieu qui vous gouverne, qui dirige dans la justice les cœurs dociles et enseigne ses voies à ceux qui sont doux[4]. Ne préférez point votre repos aux besoins de l’Église : si aucun homme de bien n’avait voulu l’assister dans son enfantement, vous n’auriez jamais pu naître à la vie spirituelle. De même qu’il faut tenir le milieu entre le feu et l’eau pour ne pas être brûlé ni submergé, ainsi nous devons régler notre route entre les hauteurs de l’orgueil et l’abîme de la paresse, « ne « nous détournant ni à droite ni à gauche, » comme dit l’Écriture[5]. Il en est qui, pour trop craindre de se laisser emporter vers la droite, se précipitent dans les profondeurs de la gauche ; et d’autres, pour trop s’écarter de la gauche et ne pas être engloutis dans une languissante et molle oisiveté, se laissent corrompre par le faste et la vanité, et s’évanouissent en, étincelles et en fumée. Ainsi donc, frères très-chers, aimez le repos, mais pour y apprendre à ne plus aimer les choses de la terre, et souvenez-vous qu’il n’y a pas de lieu dans l’univers où ne puisse nous tendre des pièges celui qui craint que nous ne reprenions notre essor vers Dieu ; l’ennemi de tout bien craint que nous ne le jugions après avoir été ses esclaves pensez qu’il n’y aura pas pour nous de repos parfait jusqu’à ce que « l’iniquité soit passée[6], » et que la « justice se change en jugement[7]. »

3. Lors donc que vous faites quelque chose avec courage, ardeur ou vigilance, soit dans les oraisons, soit dans les jeûnes, soit dans les aumônes ; quand vous secourez les indigents ou que vous pardonnez les injures,-comme Dieu nous a pardonné à nous-mêmes dans le Christ[8] ; quand vous triomphez des mauvaises habitudes, que vous châtiez votre corps et le réduisez en servitude[9] ; quand vous endurez patiemment

  1. I Cor. XII, 26
  2. Matt. V, 41
  3. Ps. LXXVIII, 11
  4. Ps. XXIV, 10
  5. Deut. XVII, 11
  6. Ps. LVI, 2
  7. Ps. XCIII, 15
  8. Eph. IV, 32
  9. I Cor. IX, 27